Patrick MOZOL, « Rappels au sujet de quelques notions complexes : représentation, délibération, participation » (approche juridique)
Il s’agit de s’interroger sur la question de la définition-même du concept de démocratie participative, sous l’angle juridique et institutionnel et, notamment, sur la question de l’insertion de la question participative au sein des modèles classiques de démocratie que constituent la démocratie représentative et la démocratie directe.
La question participative, chez les juristes et les philosophes, est classiquement appréhendée au travers du prisme de la démocratie. Ainsi, la participation était considérée comme une condition même de la réalisation de l’idéal démocratique. Très rapidement, il est apparu que la participation était un élément indissociable, voire incontournable, de la démocratie. Chez les juristes, la doctrine majoritaire met en avant le fait que la participation ne peut s’exprimer et se développer dans un cadre autre que démocratique. De même, on ne peut qualifier de démocratie un régime dans lequel les citoyens ne se voient transférer l’exercice d’aucun pouvoir ou d’une responsabilité quelconque. La participation apparaît comme le critère d’une démocratie vivante, composée de citoyens actifs qui s’impliquent dans la vie publique et à laquelle elle offre un élément de modernisation et de pérennisation.
Si elle procède bien de l’idée démocratique, la participation trouve-t-elle pour autant à s’intégrer au sein du modèle de la démocratie classique que constitue la représentation ? D’un point de vue théorique, la réponse n’est pas aisée : l’idée participative peut apparaître en contradiction avec la logique-même animant les régimes fondés sur la représentation ; à l’inverse, lorsqu’on y regarde de plus près, toute démocratie comporte une dimension participative plus ou moins large, ce qui a pour effet de soulever la question de l’existence éventuelle d’un modèle de démocratie participative à part entière qui serait situé à mi-chemin entre la démocratie représentative et la démocratie directe.
I. La différence théorique de logique entre l’idée participative et la conception représentative de la démocratie
Une différence fondamentale demeure entre la conception participative et l’approche représentative de la démocratie.
La seconde, comme la démocratie directe, repose sur un principe d’exclusivité dans l’exercice du pouvoir de décision. Ainsi, la démocratie directe suppose que les citoyens exercent directement la souveraineté leur appartenant et prennent les décisions intéressant la vie de leur Etat. Quant à la démocratie représentative, elle implique que l’exercice du pouvoir soit confié par les citoyens à des représentants élus à qui il revient, au nom de la collectivité et de ceux qui les ont investis provisoirement d’une telle prérogative, de prendre les décisions.
Etymologiquement, la participation sous-entend l’idée de partage du pouvoir et donc de partenariat entre les autorités publiques et les citoyens, ce qui en fait, pour certains, la forme la plus poussée d’association citoyenne au processus de décision ou de gestion publique. Dans cette perspective, la démocratie participative supposerait que les élus et les citoyens disposent de prérogatives plus ou moins équivalentes en vue de prendre des décisions de manière conjointe. Cela renvoie notamment au mécanisme de codécision. Cependant, ces mécanismes se caractérisent par leur relative marginalité car ils ne sont envisageables que dans le cadre d’un partage vertical du pouvoir. En revanche, cette approche de la démocratie participative apparaît difficilement réalisable dans une logique de partage horizontal du pouvoir. Dans cette approche restrictive des choses, la démocratie participative et la démocratie représentative sont bien distinctes. Il en va autrement dès lors que l’on conçoit le pouvoir, non pas seulement au travers de la compétence décisionnelle, mais comme un « tout », c’est-à-dire qui part de l’élaboration jusqu’à la prise de décision. Dans ces conditions, le modèle participatif ne se démarque pas fondamentalement de la forme représentative de la démocratie : ceux qui décident ne sont pas les seuls à participer à la confection de la décision publique.
Si l’on entend la participation plus largement (ie comme l’ensemble des formes, procédés, mécanismes permettant d’associer les citoyens aux décisions publiques à quelque degré que ce soit), l’idée participative peut se concilier avec la logique de la démocratie représentative.
II. L’absence d’incompatibilité entre la démocratie représentative et la démocratie participative
Selon Kelsen, la démocratie signifie l’identité de l’objet et du sujet du pouvoir, des gouvernants et des gouvernés, de sorte qu’il doit exister dans la démocratie une adéquation entre la volonté des représentants élus et celle des citoyens. Or, dans le régime représentatif, rien ne garantit que la volonté des seconds sera en totale adéquation avec celle des premiers et qu’elle s’exprimera à travers les décisions qu’ils prennent. Plus encore, il apparaît impossible pour un représentant du peuple de formuler une image transparente de la volonté ou des intérêts des citoyens qu’il est chargé de représenter. C’est pourquoi il existe nécessairement un risque de décalage entre la volonté des citoyens et celle des élus. Avec la démocratie représentative, on reste loin de l’idéal initial que constitue l’identification de la volonté des gouvernants et des gouvernés.
Dans ces conditions, introduire de la participation dans la démocratie représentative peut permettre, sinon d’atteindre, de se rapprocher de cet idéal. C’est la raison pour laquelle bon nombre de démocraties sont organisées autour de ce modèle intermédiaire que constitue le régime semi-représentatif.
Cependant, la participation ne saurait se limiter à l’exercice par les citoyens d’un pouvoir de décision : si décider c’est nécessairement prendre part à l’exercice du pouvoir, l’inverse n’est pas forcément de mise dès lors que participer à l’élaboration de la règle de droit c’est déjà être associé à l’exercice du pouvoir. C’est pourquoi la participation ne remet pas fondamentalement en cause l’essence et la logique du régime représentatif. La démocratie participative ne saurait se substituer à la démocratie représentative. Elle en est plutôt le prolongement nécessaire (v. not. l’exemple communal).
Cette réalité pose la question d’un modèle de démocratie participative distinct des régimes représentatifs et directs. Deux conceptions sont possibles. Soit l’on estime que toute démocratie admettant plus ou moins d’intervention des citoyens relève de la démocratie participative, alors la démocratie participative ne constitue pas un modèle de démocratie à part entière. Soit l’on considère que toute démocratie offrant des possibilités d’intervention aux citoyens ne procède pas nécessairement de la démocratie participative, alors on peut défendre l’idée d’un modèle de démocratie participative distinct du modèle représentatif. Dans cette deuxième optique, une difficulté surgit cependant, relative à la définition et à l’identification de ce qu’est la démocratie participative.
A l’échelle communale, en dehors du référendum local et de mécanismes de codécision, on trouve de nombreux procédés qui ne remettent pas en cause la représentation. Autrement dit, la participation n’est ni plus ni moins qu’une modalité d’aménagement de la représentation et ne remet jamais en question cette dernière. D’un point de vue juridique, la démocratie participative ne se limite à rien d’autre que la démocratie délibérative. Depuis la loi de 1992 sur l’administration territoriale de la République, la participation n’a jamais été organisée pour remettre en cause le principe de l’administration des collectivités territoriales par des conseils élus et le principe selon lequel il revient aux assemblées locales de régler par leurs délibérations les affaires de la collectivité. Le référendum local constitue une entorse à ce principe, mais cet aménagement est prévu par la Constitution pour ne pas enfreindre l’article 72 de celle-ci. Dans les autres cas, le pouvoir de décision des élus est toujours préservé. La démocratie participative n’est donc qu’une modalité de la démocratie représentative.
Sylvette DENEFLE, « Rappels au sujet de quelques notions complexes : représentation, délibération, participation » (approche sociologique)
Chaque fois que l’on parle de démocratie participative et de démocratie représentative, c’est de façon théorique, sans essayer de voir, entre ces deux modèles, le très grand éventail de possibilités qu’il y a dans les formes de la participation. Il me semble important de s’interroger sur les raisons politiques du choix de plus ou moins de participation citoyenne ? On entre ici dans ce qui va relever des choix idéologiques, axiologiques, d’action, etc., des uns et des autres, autrement dit du choix politique d’une manière générale, du choix que l’on pourrait même dire partisan.
La notion de « démocratie » (prise en compte de tous dans la gestion de l’intérêt général) est presque synonyme de « république » (forme de gouvernement pour l’intérêt général) dans la tradition française. Ces notions sont si proches que l’on n’imagine pas l’exercice du gouvernement autrement que par la forme républicaine dans notre pays actuellement.
Par ailleurs, le problème central de la démocratie et de la république est celui du rapport entre l’ensemble des citoyens et les décideurs ainsi que le rôle des groupes d’influence. Alors que les élus n’ont pas à justifier leurs actions autrement que par l’élection, ils inscrivent leurs réalisations dans la cohérence d’objectifs idéologiques et techniques en s’appuyant sur les partis et sur les experts. Les décisions des politiques publiques sont donc prises uniquement par des représentants élus éclairés par des experts, voire éventuellement par des avis recueillis auprès de la population par des groupes d’influence ou de la participation institutionnalisée (référendums, conseils de quartier, etc.).
La question du choix d’accorder une part plus ou moins importante à la participation citoyenne doit être posée au politique. C’est celle des choix partisans ?
Globalement, la France a adopté une devise républicaine devenu le référent quasi incontournable des choix partisans : «Liberté, Egalité, Fraternité » qu’il importe d’interroger.
• Sur la question de la liberté : alors qu’en 1789, le concept s’imposait puisque l’on passait d’une société à ordres à une société républicaine, maintenant, on fait glisser le sens vers un pluriel plus pragmatique et on parle des « libertés » (la liberté d’opinion, la liberté de déplacement, etc.) qui nous sont garanties par un Etat républicain démocratique.
• Sur le concept d’égalité : l’ensemble de notre conception de la démocratie repose sur l’égalité en droit. C’est un principe fondamental dont la remise en question (par exemple par les partis extrêmistes) apparaît comme destructrice de la démocratie. Pourtant c’est là encore un principe qui reste théorique. Chacun mesure que l’égalité se heurte à des situations sociales très nombreuses qui en estompe la réalité.
On utilise le terme de « discrimination » pour caractériser cette distorsion entre le droit (et le politiquement correct) et la pratique. Ce décalage impose de réajuster sans cesse l’ensemble de nos pratiques politiques, législatives, sociales. Les discriminations sont conçues comme des dysfonctionnements du principe démocratique de l’égalité républicaine. La discussion entre démocratie participative et démocratie représentative repose actuellement en grande partie sur cette question : la représentation démocratique représente-t-elle également l’ensemble de tous les citoyens ? Les activités démocratiques représentatives sont-elles satisfaisantes pour exprimer l’égalité de tous les citoyens ?
Les élus se satisfont de cette représentation, la société énonce de plus en plus souvent sa méfiance : il y a trop de distorsions, de gens qui ne peuvent pas se reconnaître dans tel ou tel type de législation, de structure, de rapport au pouvoir. Les inégalités demandent des réajustements constants.
La manière de justifier ces distorsions ou de les corriger est le socle de la question de la démocratie participative et de son rapport à la démocratie représentative. Les choix politiques vont donc de plus de luttes contre les discriminations à plus d’intégration de l’idée d’équité en substitution à celle d’égalité.
Sur la notion de fraternité : elle suppose d’aller de pair, d’être au même niveau social. Elle évite la distorsion élite/peuple. Si elle n’est guère mobilisée ni dans le champ politiuqe ni dans le champ social de nos jours, elle s’est décalé vers la notion de « solidarité », qui en comprend le sens collectif mais présuppose une situation inégalitaire. Là encore, les orientations politiques s’échelonnent entre ces points de vue.
En résumé, on peut noter une sacralisation politique, juridique et social du discours de la démocratie républicaine au travers de la devise « Liberté, Egalité, Fraternité » qui demeure abstrait et on tend, par la pratique politique, à produire des corrections à toutes les distorsions que l’on reconnaît. Les corrections par la participation citoyenne sont l’expression des orientations politiques partisanes et traversent toute la vie publique.
Pour terminer, nous évoquerons le concept de « citoyenneté » qui s’impose largement dans le champ politique récent. Les débats sur la démocratie participative soutiennent fréquemment l’idée que nous sommes tous citoyens parce qu’égaux et qu’en tant que tels nous partageons la responsabilité de la chose publique. Cela rejoint bien évidemment la question de la décision et nous ramène aux formes de représentation choisies par notre constitution.
La notion de citoyenneté qui est la reconnaissance d’une égalité démocratique et républicaine accomplie, est un modèle qui connaît les faveurs des discours partisans mais c’est dans la pratique politique, dans les choix politiques effectifs que l’on peut mesurer effectivement le degré de réalisation de cet idéal.
C’est pourquoi nous nous tournons maintenant vers des praticiens de la politique dont l’expérience pourra nous éclairer.
François GILLET, « La participation citoyenne dans l’habitat : expériences d’élu et expériences de militant »
Expériences d’élu (maire de Meylan de 1971 à 1983)
La commune de Meylan se situe près de Grenoble. Il s’agit d’une commune moyenne (env. 18 000-19 000 habitants) ayant connu une croissance rapide dans les années 1960-1980. Cette commune résidentielle est essentiellement occupée par des cadres, un grand nombre d’employés et peu d’ouvriers.
François Gillet a été élu en 1971 sur une liste « GAM » (groupes d’action municipaux, mouvement politique né dans les années 1960), dont l’un des thèmes importants était de rendre le pouvoir aux citoyens : il s’agissait de réaliser un certain nombre de choses correspondant à ce que souhaitaient les citoyens. Il a été élu sur trois grands thèmes, l’urbanisme, les équipements publics et la participation des citoyens et a essayé de les mettre en œuvre de la meilleure façon possible.
1er mandat
L’une des premières actions a consisté à réfléchir à la restructuration d’un quartier de la commune. Plutôt que de faire appel à un architecte-urbaniste, il a été décidé de lancer un concours d’idées auprès des habitants. Cela a très bien fonctionné : une quinzaine de structures associatives (parents d’élèves, commerçants, etc.) ont fait des propositions très intéressantes, les gens étant sensibles à la façon dont vivait le quartier. Le quartier a ainsi été restructuré en fonction de celles-ci.
Suite à l’abandon par le domaine universitaire de 45 hectares et en raison de la pression foncière, il a par ailleurs été décidé de demander au préfet de mettre 200 hectares de la commune en zone d’aménagement différé (pour geler les prix du foncier) et d’urbaniser les 45 hectares, l’aménagement devant se faire en partant de la vie quotidienne des habitants. Cela s’est fait sous la forme d’une zone d’aménagement concerté en régie directe. Un groupe technique, appelé « groupe ZAC », a été créé par la commune, avec les services communaux, un urbaniste, une sociologue, un bureau d’études techniques et 5-6 élus. Le groupe a commencé par définir les objectifs politiques pour la réalisation du quartier : faire un habitat pour tous, donc mettre en place un nombre de logements sociaux assez important, assurer un équilibre entre les logements sociaux et les autres. Le groupe a travaillé en liaison étroite avec les habitants, notamment ceux du quartier voisin. La sociologue a travaillé avec ces derniers sur le plan d’ensemble de la ZAC. De plus, plusieurs équipements ont été définis et réalisés avec les usagers. Une crèche collective d’une soixantaine de places a, par exemple, été élaborée : une équipe de mères de famille a suivi toutes les étapes du projet (conception, chantier, définition du poste de la directrice, recrutement de celle-ci, mise en place d’un conseil de crèche qui assure la gestion de celle-ci dans le cadre du budget donné par le conseil municipal). Faute de temps, les participants étaient essentiellement des structures associatives. C’est un point que la municipalité a ensuite cherché à corriger. Suite à des discussions avec des syndicats de salariés du bâtiment, une maison des travailleurs a également été mise en place, financée en partie par les entreprises qui sont intervenues : avant que les travailleurs n’arrivent sur les chantiers, des locaux ont été construits pour le repos, les repas, mais aussi pour permettre la rencontre des travailleurs des différents chantiers, la tenue de comités d’hygiène et de sécurité, la formation des travailleurs, etc. Les locaux ont ensuite été intégrés dans une école.
La possibilité a été prévue d’aménager les choses progressivement (et non pas de tout faire immédiatement). Il a donc été demandé à une sociologue de suivre la façon dont les habitants prenaient possession du quartier et de discuter avec eux. Avec les services techniques de la commune, un certain nombre d’adaptations ont alors été faites dans le quartier (espaces de jeu, circulation, etc.).
Il était important de favoriser les capacités d’expression des citoyens. Pour ce faire, une association a été créée. Elle était dotée d’un certain budget lui permettant, via un journal, de faire de l’information de manière complètement indépendante de celle qui était faite par la commune elle-même. Il y avait un permanent. Les associations s’y exprimaient, de même qu’un certain nombre de citoyens.
2nde mandat
Une nouvelle opération d’urbanisme a été engagée. Dans le cadre du conseil municipal et avec les habitants, des discussions ont eu lieu autour de la question de savoir s’il fallait ou non urbaniser. Les habitants ont d’abord répondu par la négative, mais en raison de la crise du logement et de la pression du marché immobilier, le mouvement d’opposition s’est finalement transformé.
Un « atelier public d’urbanisme » a alors été mis en place par la commune, ce qui a beaucoup mobilisé les habitants (et pas seulement des institutionnels ou pseudo-institutionnels). La commune a indiqué quelles étaient ses exigences (en termes de logements sociaux, par exemple) et précisé qu’elle attendait des habitants des propositions concernant l’endroit où cela allait se faire, les modalités, etc. Pour leur permettre de travailler, la commune a mis à leur disposition un animateur (un urbaniste) chargé de faire une transcription en image de ce que les habitants souhaitaient, un secrétariat et des locaux pour qu’ils puissent travailler. L’atelier public d’urbanisme a travaillé pendant environ dix mois, puis a fait des propositions concernant la définition de la partie de la commune à urbaniser, le nombre de logements, la voirie, etc. Le conseil municipal est tombé d’accord sur un certain nombre de choses (à l’exception d’une nette divergence concernant une voirie importante traversant la ZAC), puis la procédure de création de ZAC a été engagée.
L’atelier public d’urbanisme a, ensuite, continué à travailler de façon plus détaillée avec un architecte chargé de coordonner les différentes opérations. Il a été consulté sur un certain nombre de sujets, par exemple le problème de la préservation des espaces naturels, l’aménagement et l’entretien des espaces verts, la vie sociale et l’organisation de l’habitat, etc. Suite aux discussions entre l’architecte, les élus, l’atelier public d’urbanisme et les opérateurs, le quartier s’est mis en place petit à petit.
Une pré-attribution des logements a été faite au moment du permis de construire, en négociation avec deux bailleurs sociaux. Trois groupes d’habitat groupé autogéré ont par ailleurs été constitués (ce qui est cependant difficile à mettre en œuvre sur le plan juridique et qui pose un problème de surcoût d’opération). Enfin, une convention a été signée, fin 1982, avec la Ministre de la famille Georgina Dufoix sur l’association des habitants à la réalisation d’un quartier, le contrôle de l’attribution des logements en liaison avec les organismes HLM, la manière d’assurer la gestion des logements et la façon de mettre en place des structures de gestion du quartier.
Expériences de militant (association « Un toit pour tous »)
L’association « Un toit pour tous » travaille essentiellement sur la région urbaine grenobloise. Elle comprend une trentaine de salariés, 300 adhérents individuels et regroupe une trentaine d’associations (associations caritatives, associations de gestion de problèmes d’hébergement, confédérations de locataires, etc.). Elle fait un certain nombre de choses en matière logement pour les plus défavorisés.
L’action de l’association a débuté, il y a une vingtaine d’années, par l’acquisition, grâce à des aides publiques importantes, de logements anciens répartis dans le tissu urbain. Ces logements sont achetés et rénovés par une structure dans l’association. Puis, ils sont loués à des personnes en difficulté (problèmes financiers, sociaux). Leur gestion est confiée à une agence immobilière à vocation sociale (AIVS). Le système de gestion est beaucoup plus proche des gens que le système des bailleurs sociaux : il s’agit d’une gestion locative adaptée (le suivi des personnes y est beaucoup plus important).
Actuellement, l’AIVS gère 300 logements possédés par la structure qui achète et rénove. Elle est également en charge de la gestion de 180 logements que des propriétaires privés acceptent de louer à des prix relativement proches de ceux des logements sociaux. Pour cela, ils passent une convention, en général pour 6 ans. Ils bénéficient d’aides publiques (aide ponctuelle, défiscalisation, etc.). En liaison avec un assureur (MACIF), une garantie de paiement de loyer et de dégradation leur est accordée. Par ailleurs, l’association gère 70 hébergements d’insertion.
L’association mène également des actions de sensibilisation de l’opinion publique, mais aussi des élus pour les amener à prendre les décisions qui lui paraissent souhaitables en matière de logement et notamment celui des plus défavorisés. La pression exercée sur les élus locaux en matière de politique du logement porte petit à petit ses fruits : l’association est devenue un interlocuteur reconnu dans ce cadre.
L’association travaille à l’échelle des quartiers, mais aussi de la région urbaine. Elle a d’ailleurs des difficultés à faire travailler les élus à la bonne échelle, ceux-ci étant en quelque sorte prisonniers de leur mandat géographique. Elle essaie, par exemple, de les amener à prendre des décisions en matière de politique foncière qui soient à la bonne échelle. L’Etat la charge, en outre, de certaines missions en matière d’hébergement d’urgence.
Discussion
L’exemple de l’association « Un toit pour tous » est intéressant car il s’agit d’une des modalités possibles de la participation : la volonté politique vient de la population qui veut interférer avec les choix politiques des élus.
Jean-Patrick GILLE, « La représentation politique et les formes de la participation citoyenne : expériences d’élu »
Jean-Patrick Gille est actuellement député d’Indre-et-Loire et conseiller municipal de la ville de Tours. Auparavant, il était 1er adjoint de la ville chargé des quartiers. Dans ce cadre, il a essayé de monter des mécanismes de démocratie participative qui perdurent.
Il est parti de l’idée selon laquelle les gens doivent pouvoir s’investir dans la vie de la cité. Or, en matière de politique de la ville, il y avait une obligation de concertation avec les habitants. Cependant, celle-ci n’étant pas satisfaisante, il a essayé de faire quelque chose de différent, de plus participatif, d’inverser l’initiative.
Le plus important a été le face-à-face avec le bailleur. Au fil du temps, le rapport entre celui-ci et les habitants a changé. Les pratiques du bailleur ont par ailleurs évolué. Des réunions ont également été organisées en matière de sécurité.
Des mini-groupes de travail sur des sujets ont été constitués (comités d’usagers). Ces pratiques ont été transférées au niveau de la ville toute entière. De même, des comités de suivi ont été mis en place sur des quartiers qui posent problème, tels que le Vieux Tours ou les Deux Lions. Des réunions étaient organisées tous les premiers jeudi du mois. Cependant, cela n’a pas fonctionné aux Deux Lions.
En 2001, un dispositif a été organisé sur l’ensemble de la ville : quatre conseils de la vie locale (CVL) ont été créés (Nord, Sud, Est et Ouest), composés de représentants des habitants, tirés au sort, de représentants d’associations d’habitants et de comités de quartier, d’élus municipaux et de représentants des services publics de proximité. Au début, les CVL étaient animés par des élus, désormais ils sont co-animés par des élus et des représentants des habitants. Ils disposent d’un budget participatif (« budget d’investissement » initialement de 25 000 € et aujourd’hui de 35 000 €). Il s’agissait d’articuler trois légitimités : celle de l’onction démocratique qui caractérise l’élu, celle des services techniques (légitimité technocratique) et celle des habitants/usagers (qui ont une expertise d’usage). La participation des habitants peut d’ailleurs être un moyen pour l’élu de se sortir du face-à-face avec les techniciens ou d’autres groupes d’influence. En parallèle, Jean-Patrick Gille souhaitait monter un forum prospectif sur l’avenir de la ville à 15/20 ans, cependant cela n’a finalement pas été mis en place.
L’idée des CVL est de passer d’une logique d’interpellation à une logique de concertation ou de consultation, mais aussi de donner aux habitants une capacité d’initiative. C’est possible puisqu’ils définissent l’ordre du jour et qu’ils disposent d’un budget (ex : passerelle Fournier). Il n’existe pas, en revanche, de mécanisme qui viendrait directement impacter le budget de la ville, peut-être faute de volonté politique en ce sens.
Le rôle de l’élu est de faire vivre le débat public, mais aussi d’assumer les décisions. Il a également un rôle de médiateur.
Même si, de l’aveu-même de Jean-Patrick Gille, les dispositifs décrits ci-dessus sont sans doute critiquables et ont d’ailleurs été critiqués, ils ont créé une culture de la consultation auprès du public, mais aussi des services (tout projet doit ainsi avoir une annexe consultation). Sur dix ans, 700 personnes ont été consultées.
Discussion
La concertation relative aux projets structurant de la ville de Tours
Elle est insuffisante en termes d’élaboration, de réflexion, les projets n’étant pas suffisamment pris en amont. Ceci est très lié à l’élu qui porte le projet. Il faudrait mettre en place des ateliers de travail avec les habitants. Les comités de suivi qui ont été développés sur ces projets sont, en revanche, une réussite.
La concertation relative au réaménagement du quartier des casernes à Tours
La ville n’est pas partie d’une feuille blanche. Un concours d’idées n’a pas, par exemple, été organisé. Pour autant, deux opérations de concertation ont été menées en parallèle par l’atelier d’urbanisme en charge de celle-ci : le CVL de Tours Est qui était demandeur sur ce projet y a été associé, de même qu’un autre groupe d’habitants. Pour l’instant, ces groupes sont un peu en attente d’une étape prochaine (acquisition des terrains, etc.). Le temps de la construction de ce quartier étant très long, il est possible que les habitants qui étaient là au début ne seront pas les mêmes que ceux qui seront associés à la fin. Il en va de même pour les élus.
Comparaison entre la participation à Meylan et à l’Alma-Gare à Roubaix
A Meylan comme à l’Alma-Gare à Roubaix, les habitants ont presque entièrement participé au projet d’aménagement d’un quartier. Dans les deux cas, un atelier populaire d’urbanisme a été monté, intégrant des sociologues, des habitants, des experts, etc. Cependant, à Meylan, on est parti d’une feuille blanche, avec un concours d’idées, et on a participé pour l’aménagement d’un quartier. En revanche, à Roubaix, on est parti d’une contestation contre le projet de la ville. La participation des habitants s’y est donc faite contre l’aménagement d’un quartier. Mais, que l’on participe pour ou contre quelque chose, il s’agit bien de la participation dans les deux cas.
La question de l’évaluation des élus
Il n’y a pas d’évaluation possible des élus, la seule sanction qui existe étant constituée par l’absence de réélection en fin de mandat. Les élus ne sont pas mandatés.
Le rôle des partis politiques
Il s’agit d’une dimension du système démocratique français dont on parle trop peu. La désignation des candidats est un problème important. Ce sont eux qui portent la chose politique et se retrouvent investis d’un certain nombre de tâches sans que la façon dont ils ont été choisis pour l’assumer n’ait quelque transparence que ce soit. C’est une des difficultés de la démocratie représentative actuelle.
Le problème est que les qualités qu’il faut pour se faire élire ne sont pas nécessairement celles qu’il faut pour être un bon élu.