Démocratie électronique. Nouvelles formes d’engagement ou renforcement des clivages?

Organisé avec le Villes au carré

Recommandations de lectures

  • • BAILLEUL Hélène (2008) « Les nouvelles formes de la communication autour des projets urbains :modalités, impacts, enjeux pour un débat participatif », Métropoles, n°3, pp. 98-139.
    http://metropoles.revues.org/2202

  • • MONNOYER-SMITH Laurence, WOJCIK Stéphanie (2014) « La participation politique en ligne, vers un renouvellement des problématiques ? », Participations, n°8, pp. 5-29.
    hwww.cairn.info/revue-participations-2014-1-page-5.htm.

  • • MABI Clément, THEVIOT Anaïs (2014) « Présentation du dossier S’engager sur Internet. Mobilisations et pratiques politiques », Politiques de communication, n°3, pp. 5-24.
    www.cairn.info/revue-politiques-decommunication-2014-2-page-5.htm.

  • • WOJCIK Stéphanie (2013) « Démocratie électronique », in CASILLO I. avec BARBIER R., BLONDIAUX L.,CHATEAURAYNAUD F., FOURNIAU J-M., LEFEBVRE R., NEVEU C. et SALLES D. (dir.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la participation, Paris, GIS Démocratie et Participation.
    http://www.dicopart.fr/fr/dico/democratie-electronique

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Bibliographie

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  • Badouard, R. 2014. La mise en technologie des projets politiques. Une approche « orientée design » de la participation en ligne. Participations 8 (1):31–54.
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  • Badouard, R. 2013. Les mobilisations de clavier. Réseaux 181 (5):87–117.
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  • Badouard, R. 2012. Publics « forts » et « faibles » du web : le cas des consultations permanentes de la Commission Européenne. Quaderni 79 (3):99–108.
    Voir l »article
  • Badouard, R., « Forum en ligne », in CASILLO I. avec BARBIER R., BLONDIAUX L., CHATEAURAYNAUD F., FOURNIAU J-M., LEFEBVRE R., NEVEU C. et SALLES D. (dir.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la participation, Paris, GIS Démocratie et Participation, 2013, ISSN : 2268-5863.
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  • Bailleul, H. 2008. Les nouvelles formes de la communication autour des projets urbains : modalités, impacts, enjeux pour un débat participatif. Métropoles (3)
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  • Bastine, F. Repenser la participation politique? Conceptions et mesure de la participation à l’ère de la démocratie en ligne. Regards critiques sur la participation politique en ligne
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  • Benvegnu, N. 2011. La politique des netroots. Thèse, Ecole des Mines, Paris
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  • Benvegnu, N. 2006. Le débat public en ligne. Politix 75 (3):103–124
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  • Benvegnu, N., and M. Brugidou. 2008. Prendre la parole sur Internet. Réseaux 150
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  • Cardon, D. 2013. La participation en ligne. Idées économiques et sociales 173
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  • Cardon, D., and M.-C. Smyrnelis. 2012. La démocratie Internet. Transversalités 123
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  • Coleman, S., and J. G. Blumler. 2009. The Internet and Democratic Citizenship: Theory, Practice and Policy. Cambridge: Cambridge University Press
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  • Colloque DEL 2013 – Regards critiques sur la participation politique en ligne. Regards critiques sur la participation politique en ligne
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  • Dacos, M. 2010. Dominique Cardon, La démocratie Internet. Promesses et limites. Lectures
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  • Dahlgren, P., J.-F. Nominé, and R. Nickinson. 2012. Web et participation politique : quelles promesses et quels pièges ? Questions de communication 21:13–24
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  • Frangonikolopoulos, C. A. 2012. Global civil society and deliberation in the digital age. International Journal of Electronic Governance 5 (1):11
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  • Goëta, S., and C. Mabi. 2014. L’open data peut-il (encore) servir les citoyens ? Mouvements 79 (3):81–91
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  • Greffet, F., and S. Wojcik. 2014. La citoyenneté numérique. Réseaux 184-185 (2):125–159
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  • Mabi, C., and A. Theviot. 2014. Présentation du dossier. S’engager sur internet. Mobilisations et pratiques politiques. Politiques de communication 3 (2):5–24
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  • Monnoyer-Smith, L. 2006. Être créatif sous la contrainte. Politix 75 (3):75–101
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  • Monnoyer-Smith, L. 2011. La participation en ligne, révélateur d’une évolution des pratiques politiques ? Participations 1 (1):156–185
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  • Monnoyer-Smith, L. 2007. « Le débat public en ligne : une ouverture des espaces et des acteurs de la délibération ? », Le débat public : une expérience française de démocratie participative, Paris, La Découverte , «Recherches», 2007, 416 pages
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  • Monnoyer-Smith, L., and S. Wojcik. 2014. La participation politique en ligne, vers un renouvellement des problématiques ? Participations 8 (1):5–29
    Voir l’article
  • Participations n°8, La participation politique en ligne : politics as usual?
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  • Smith, L. M., and S. Wojcik. 2012. Technology and the quality of public deliberation: a comparison between on and offline participation. International Journal of Electronic Governance 5 (1):24
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  • WOJCIK Stéphanie (2013) « Démocratie électronique », in CASILLO I. avec BARBIER R., BLONDIAUX L., CHATEAURAYNAUD F., FOURNIAU J-M., LEFEBVRE R., NEVEU C. et SALLES D. (dir.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la participation, Paris, GIS Démocratie et Participation
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L’avènement du numérique ces vingt dernières années a entraîné une série de bouleversements dans notre vie quotidienne et a renouvelé les registres de la mobilisation et les pratiques de communication dans le domaine politique. Qu’en est-il pour la participation à la vie locale et aux projets urbains ?
La logique dominante en termes de politiques locales concernant le numérique a longtemps été une logique d’équipement, sans que les conditions d’appropriation ou les usages associés aux outils numériques soient réellement questionnés. Si cette vision centrée sur le développement des équipements et des infrastructures tend à s’élargir à des visions intégrant les questions des compétences des usagers, celles-ci nécessitent beaucoup de temps pour se développer et ne doivent pas seulement être comprises comme un ensemble de compétences techniques mais bien également comme de nouvelles aptitudes intellectuelles (en termes de prise de parole, de rédaction de contenu, d’interactivité) et culturelles (comme accepter la prise de parole libre ou intégrer les gains des logiques coopératives et ouvertes permises par les outils numériques).

La participation via les outils numériques restent encore descendantes

Si la participation citoyenne via les NTIC présente une dimension ascendante nettement plus importante, sa promotion reste gouvernée par une logique descendante des choses. A titre d’illustration, la pratique majoritaire des communes est de développer leurs sites internet à des fins d’information des habitants, de communication politique et de valorisation de leurs actions. A l’opposé, les rubriques interactives permettant aux citoyens qui le souhaitent de dialoguer avec les élus et de prendre part à divers degrés à une démarche participative demeurent très réduites.
De la même façon, dans des cas poussés d’usage du numérique lors d’ateliers citoyens (atelier créatif de modélisation des futurs d’un quartier par ses habitants grâce à une maquette 3D à Rennes), la délimitation des sujets à débattre comme la maîtrise technique de l’outil demeurent aux mains de la puissance publique.

Permettre et accepter une prise de parole libre : les possibilités des technologies numériques nécessitent d’être acceptées culturellement

Il demeure un pas culturel à franchir du côté des acteurs détenant du pouvoir (le personnel politique mais aussi les cadres dirigeants) pour donner librement la parole et l’accepter. Cela doit s’accompagner de la démystification des soi-disant dangers associés à cette prise de parole. Sur ce point, les témoignages des trois retours d’expériences convergent : hormis dans l’imaginaire des acteurs, il n’y a guère de risque à donner la possibilité à tout le monde de s’exprimer. A Brest, en 12 ans et sur 10 sites participatifs, il n’y a jamais eu aucun problème, jamais aucun article refusé. Le seul vrai travail est bien toujours de réussir à amener les gens à écrire, à s’exprimer. Idem à propos du projet d’Agora Numérique dans le quartier de la Rabière à Joué-lès-Tours : en 2014, 100 000 visiteurs (notamment sur les Espaces Numériques de Travail), 150 articles mis en ligne et aucune modération à faire, malgré une période d’élections municipales.
Autre exemple, suite à la commande par une municipalité d’une plate-forme de libre édition, complètement transparente et publique pour favoriser l’expression d’habitants qui habituellement ne s’expriment pas, les seuls réactions en retour sont celles des chefs de services désireux de pouvoir modérer les propos publiés. Il faut savoir aller chercher la parole mais il faut également savoir l’accepter.

La « fracture numérique » est encore une fracture infrastructurelle, mais également une fracture cognitive

Le numérique est un outil nouveau et il faut apprendre à s’en servir. La mise à disposition de l’outil numérique peut permettre de donner la parole à ceux qui ont une culture générale et de bonnes conditions sociales. Mais la diffusion de cet apprentissage est extrêmement marquée par la différenciation sociale. Des politiques ou des pratiques explicites peuvent permettre une espèce de lutte contre les discriminations d’accès à ces technologies. Si l’on veut une vraie prise de parole par le numérique vis-à-vis des populations les plus éloignés, il faut impérativement accompagner ces populations-là. Les questions du financement de l’accompagnement de ces changements sont donc centrales.

Accompagner la politique de numérisation des services et d’équipement d’une politique de formation aux usages du numérique

Sans une intervention publique forte, les NTIC peuvent renforcer la fracture sociale. L’administration en ligne créé aujourd’hui des ruptures de droit. En termes de services publics, la numérisation des services doit se faire avec un développement des capacités d’accompagnement : par exemple, il ne s’agit pas seulement de permettre de remplir sa déclaration d’impôt en ligne, il faut aussi avoir la capacité d’accueillir et d’accompagner, de former les gens dans les centres des impôts à remplir leur déclaration. Les institutions publiques ne peuvent plus se contenter de mettre en place des services en ligne mais doivent aussi se demander comment accompagner toute la mise en œuvre de cette politique de dématérialisation.
Et les politiques d’accompagnement et de formation ne doivent pas se limiter à la simple maitrise technique des outils. Il faut aujourd’hui dépasser le cadre des savoirs de base (l’usage des logiciels) pour permettre la production de contenus et aborder les questions de maîtrise de l’identité numérique et de la place des réseaux sociaux.

La nécessité de former les élus et les professionnels

Comme les citoyens, il ne faut pas oublier que les élus aussi doivent se former et approprier les fondamentaux avant de réfléchir aux enjeux du numérique. Et là encore, cela doit passer par de la mise en pratique.
De la même manière, pour aller vers les habitants et faire de la participation avec les outils numériques, il faut nécessairement former les animateurs et les travailleurs sociaux pour qu’ils s’approprient le numérique comme un de leurs outils de travail. On ne peut plus faire du développement social sans se préoccuper de cette question-là. La transformation numérique est un paradigme, qui irrigue tous les aspects de la société. Il est nécessaire de prendre le temps de réfléchir à comment le numérique vient modifier les postures professionnelles. C’est l’enjeu de la littératie numérique.
Le numérique permet une société d’abondance (tous les objets numériques sont abondants et peuvent être facilement copiés et diffusés), et il faut désormais apprendre à gérer l’abondance. Les méthodes coopératives comme la gouvernance contributive peuvent le permettre. Le numérique peut être vu comme un moyen d’augmenter le pouvoir d’agir des acteurs de la cité et de valoriser ce qui se fait. Il ne s’agirait alors pas d’utiliser le numérique pour participer à des forums ou à des débats, mais de l’utiliser pour essayer de renforcer et de donner une place à ce pouvoir d’agir.

Il n’y a pas de magie ou de spécificités des outils numériques concernant la participation

Les réseaux virtuels reposent sur des réseaux de personnes, qui peuvent se rencontrer et collaborer grâce à internet. Les pratiques collaboratives nécessitent beaucoup de liens sociaux et que les gens se rencontrent. Il ne faut pas « essentialiser » le numérique. L’expérience de citoyenneté sur internet et dans le reste de la vie ne sont pas dissociables et fondamentalement différentes. Au contraire, elles s’hybrident. Et les difficultés liées à la participation se rencontrent largement de façon identique. En cela, les intervenants, comme lors de séminaires précédents, ont souligné l’absence d’effets magiques des instruments numériques sur la participation.

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Accéder directement au résumé de l’une des interventions :

Patrick MOZOL – Les nouvelles technologies de l’information et de la communication, quelle plus-value pour la démocratie participative locale ?

Les origines

Apparus au milieu des années 1970 avec les réseaux câblés et les services télématiques, les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), désormais appelées les « TIC », se sont rapidement révélées porteuses de nombreux espoirs dans le cadre de la démocratie et des rapports entre les élus et les citoyens. Les municipalités se sont alors emparées progressivement de ces nouveaux supports techniques avec, au premier plan, l’outil internet, susceptible d’offrir de nombreuses possibilités en faveur de la transparence de l’action administrative, de l’accès du citoyen à l’information et aux services publics, de la communication politique ou encore de la participation des habitants à la vie et à la gestion locales. Dans ce dernier domaine, certaines communes se sont efforcées de développer, via leurs sites internet respectifs, des mécanismes et des procédés divers d’e-participation, répertoriés au sein de diverses rubriques dites interactives (participation à distance et en direct à des réunions ou des assemblées, débats en direct, forums de discussion en différé, sondages d’opinion, consultations ou référendums en ligne). Il s’agissait pour leurs initiateurs de stimuler davantage l’intérêt des citoyens pour la vie publique locale et, corrélativement, leur implication dans le processus délibératif et décisionnel local.
Aujourd’hui, les NTIC constituent indiscutablement un atout de taille pour la démocratie participative locale qu’elles contribuent à moderniser et à redynamiser et qu’elles permettent également de réinventer quelque peu (I). Parallèlement, une utilisation inappropriée de ces supports techniques dans une telle perspective des choses pourrait se solder à l’opposé par la production de situations ou de phénomène d’enfermement, ou inversement, de débordements de la démocratie participative locale (II).

I) Les NTIC, un outil essentiel de redynamisation et de réinvention de la démocratie participative locale

Sans aller jusqu’à dire qu’elle leur doit son salut, la démocratie participative locale peut trouver un élément de renouveau dans les NTIC qui se présentent tout à la fois comme un palliatif efficace aux maux récurrents de la participation institutionnalisée (A) et comme un pourvoyeur inépuisable de nouvelles formes d’implication citoyenne (B).

A) Un palliatif efficace aux maux récurrents de la participation institutionnalisée

La participation telle qu’elle est notamment prévue et organisée par les textes législatifs et réglementaires et ainsi pratiquée par la plupart des municipalités, connaît nombre de dysfonctionnements, d’obstacles, d’insuffisances et de limites. Ces procédures participatives sont généralement caractérisées par une rigidité et un formalisme extrêmes, ainsi que par un niveau d’influence relativement réduit de l’intervention citoyenne sur le projet de décision de la collectivité (concertation préalable, enquête publique, consultation locale) et ne sont de ce fait guère attractives. Ces aspects expliquent notamment la démobilisation d’ensemble des habitants sur des questions pour lesquelles ils sont appelés à formuler des propositions, des observations ou encore des avis et, plus largement, leur désintérêt, voire leur désaffection pour la vie publique locale. Dans ces conditions, le recours aux NTIC peut constituer une alternative intéressante permettant de surmonter (dans une certaine mesure) ce phénomène. La modernité de ce support, compte tenu notamment de l’immédiateté de l’information et de l’interactivité des échanges que ce dernier engendre dans son utilisation, apparaît de nature à réactiver l’intérêt citoyen pour des procédures participatives majoritairement désertées par la population locale et retrouvant en quelque sorte une seconde jeunesse par le jeu de la dématérialisation. Elles offrent aux habitants un moyen plus stimulant car, d’une certaine façon, plus ludique, de renouer avec la vie et la gestion de leur collectivité. De la même manière, la souplesse d’utilisation qu’offrent les NTIC autorise une participation à distance du citoyen souvent empêché matériellement pour prendre part aux procédés participatifs existants, qu’il s’agisse d’une réunion à une instance participative, d’un débat public organisé par le maire ou encore d’une votation à l’occasion d’un référendum ou d’une consultation locale. Elle permet plus largement de surmonter les obstacles liés à l’impossibilité pour les habitants de se réunir simultanément pour discuter des questions de la collectivité. Par ailleurs, parmi les dysfonctionnements de la participation, il est souvent mis en exergue la production de situations inégalitaires dans l’expression des habitants, caractérisant des formes d’élitisme ou de monopole participatif. Celles-ci sont généralement synonymes de sous-représentation et parfois même d’exclusion de nombreuses catégories d’habitants (jeunes, femmes, précaires, étrangers) au sein des procédures participatives mises en place ou dans le déroulement du débat démocratique. L’une des principales vertus que l’on peut prêter aux NTIC, notamment à l’outil internet, est justement de permettre de libérer la parole chez ceux qui n’osent ou ne souhaitent pas s’exprimer dans le cadre des procédés participatifs existants et de rétablir ainsi une forme d’égalité entre les habitants dans la prise de parole. De surcroît, la possibilité offerte par les NTIC de s’exprimer autant que chacun le juge nécessaire et sans la retenue ou la réserve que l’on pourrait avoir en public, encouragent la tenue d’un débat plus ouvert (car plus « franc ») et permettent d’aller plus au fond et « au bout » de celui-ci en épuisant les discussions qui l’alimentent.

B) Un pourvoyeur inépuisable de nouvelles formes d’implication citoyenne

Les NTIC ne sauraient être perçues uniquement comme un instrument de dématérialisation et, ainsi, de modernisation des différents procédés participatifs prévus et organisés par les textes, même si de nombreuses initiatives peuvent ici être citées en exemple à l’image des e-conseils de quartier, des concertations, enquêtes, consultations ou autres référendums en ligne. Ils sont également un moyen de réinventer quelque peu la participation et de concevoir de nouvelles formes d’implication citoyenne. Si les différents strates de la participation sont également déclinées à travers l’utilisation des NTIC avec, au premier plan, l’information et la consultation, ces techniques présentent les potentialités les plus intéressantes et favorisent les initiatives les plus novatrices dans les domaines de la concertation, la co-production, la co-construction et l’évaluation de la décision publique locale, qui occupent pour l’instant encore une place réduite au sein des divers procédés et institutions participatifs prévus et organisés par les textes. La mise en place de forums de discussion ou de débats en direct ou en différé offre l’opportunité aux habitants de débattre entre eux et avec les représentants de la collectivité sur un projet déterminé ou sur la politique menée par la municipalité dans un secteur bien précis. Elle contribue à ce titre à l’apparition d’un nouveau, voire de nouveaux espaces publics de délibération au sein desquels s’établissent et se nouent des rapports d’un nouvel ordre entre les élus et leurs administrés. La mise en œuvre de ces nouvelles techniques contribue d’une certaines façon à l’effacement des modalités d’expression de la démocratie fondée sur l’idée de représentation et d’exercice délégué du pouvoir pour favoriser une démocratie directe au sens fort du terme. La frontière entre les représentants de la collectivité et les habitants de celle-ci tend à s’estomper quelque peu pour laisser place à un seul et même groupe d’acteurs citoyens, réunis autour d’un projet commun ou d’une question précisé, et traité dans une véritable logique de partenariat. On assisterait ainsi à la formation et à l’expression d’une Agora électronique, rendue ici possible par la constitution de lieux immatériels d’expression ouverts à tous et permettant à l’ensemble des citoyens de débattre en instantané ou en différé avec leurs pairs ou leurs représentants. A cet égard, le principal obstacle traditionnellement invoqué par les détracteurs de la démocratie directe, à savoir ici l’impossibilité matérielle pour les citoyens de se réunir en assemblée, n’apparaît plus aussi insurmontable que cela avec les NTIC. L’utilisation dans les grandes villes de ces supports permet en outre aux élus d’instaurer avec leurs administrés une proximité naturellement présente dans les collectivités de taille démographique et géographique plus réduite et nécessaire à la réalisation de ce que d’aucuns appellent l’« idéal démocratique ».

II) Les NTIC, un générateur potentiel d’enfermement et de débordements de la démocratie participative

En dépit des vertus démocratiques que l’on peut aisément leur prêter et vérifier en pratique, les NTIC peuvent aussi révéler des limites ou conduire à des excès respectivement synonymes de standardisation, voire de minimalisation possible de la participation (A) et de dérives de la démocratie et du débat électroniques (B).

A) Un facteur de standardisation et de minimalisation éventuelles de la participation

Si les NTIC sont susceptibles d’offrir des possibilités nouvelles et d’encourager des initiatives originales et novatrices en matière participative, l’éventualité de voir poindre avec leur développement une démocratie virtuelle parallèlement et concurremment à la démocratie « réelle » n’est pas à exclure. Au-delà de l’hypothèse, peu envisageable en l’état actuel des choses, de voir la première prendre le pas sur la seconde, le risque est d’assister à un phénomène de standardisation de la participation, alors enfermée dans des rubriques dédiées et intégrés dans les sites internet respectivement mis en place et développés par les municipalités. Cette standardisation est susceptible d’aller de pair avec une minimisation de la participation dès lors que lesdites rubriques se révèlent peu nombreuses et/ou qu’elles consistent en un simple sondage d’opinion ou une prise d’avis ou de position sur un ou plusieurs projets ou questions déterminés. Bien que les NTIC encouragent le développement de la participation ascendante en permettant aux habitants de faire remonter plus facilement des propositions, observations ou autres doléances auprès des élus, cette participation ne peut être véhiculée qu’à travers des rubriques adaptées que sont les forums de discussion, les débats et les réunions en ligne. Elle demeure tributaire de la volonté et de l’initiative des élus non seulement de mettre en place mais aussi de faire vivre de telles rubriques en prenant part, directement ou par l’intermédiaire d’un représentant animateur, à la discussion et au débat au côté des habitants afin de donner à ces derniers le sentiment d’être écoutés et les encourager ainsi à poursuivre leur démarche participative. On dira ici que si la participation citoyenne via les NTIC présente une dimension ascendante nettement plus importante, sa promotion reste invariablement gouvernée par une logique descendante des choses.
A ce propos, la pratique révèle une tendance encore majoritaire des communes à mettre en place et à développer leurs sites internet à des fins d’information des habitants, de communication politique et de valorisation de leur action. A l’opposé, les rubriques interactives permettant aux citoyens qui le souhaitent de dialoguer avec les élus et de prendre part à divers degrés à une démarche participative demeurent encore trop réduites à la portion congrue en dépit d’initiatives plus nombreuses. Dans une étude réalisée sur les usages démocratiques d’internet par les municipalités1, Monsieur Gérard Loiseau, alors chercheur au CNRS, relevait en 2005 que sur un échantillon de 43 villes de plus de 80 000 habitants dotées d’un site internet, seules deux d’entre elles avaient prévu une rubrique consacrée à la participation à distance des habitants à des réunions ou des assemblées, contre neuf pour les forums de discussion en différé, dix pour la sollicitation des citoyens en ligne (enquêtes, vote) et cinq pour les débats en direct alors que, parallèlement, les rubriques « Actions politiques conduites par la mairie », « Expression du maire ou des responsables politiques », « Compte-rendu des réunions du conseil municipal » et « Expression des partis d’opposition » figuraient respectivement sur 42, 36, 32 et 31 sites municipaux. Il en résulte que les sites internet s’apparentent majoritairement encore à des portails d’information et à des instruments de valorisation de l’action publique locale plutôt que d’inflexion ou de confection partagée de la décision publique.

B) Un élément de possibles dérives de la démocratie et du débat électroniques

En second lieu, l’exploitation et l’utilisation encadrée des NTIC peuvent conduire à des dérives, plus moins voulues, de la démocratie et du débat électronique. Dans un rapport publié il y a dix-huit ans de cela2, le sénateur Franck Sérusclat soulignait déjà la propension des NTIC « à faire courir des risques réels à une conception démocratique respectant le nécessaire temps de la réflexion du citoyen ». L’interactivité et l’immédiateté de l’information générées via ces outils sont de nature à encourager les réponses instantanées et les réactions « à chaud », qui peuvent se révéler préjudiciables pour la richesse et la productivité du débat démocratique. Dans ces conditions, les débordements, encouragés de surcroît par une prise de parole s’effectuant non pas en public mais derrière un ordinateur, sont susceptibles d’être légion, rendant ainsi indispensable la présence d’un modérateur pour canaliser et recadrer les discussions, aussi passionnées soient-elles. Par ailleurs, comme cela a déjà été évoqué, les NTIC permettent de restaurer en partie une certaine égalité entre tous les habitants dans la prise de parole et l’expression citoyenne et de rompre ainsi avec les situations d’élitisme ou de monopoles participatifs au profit ou au détriment des différentes catégories d’habitants de la commune. Parallèlement, leur utilisation peut engendrer d’autres discriminations entre ceux qui, d’une part, sont familiers ou coutumiers des NTIC et, principalement ici, de l’outil internet et ceux qui ne le sont pas, faute d’un équipement et/ou d’une formation adéquate en la matière. Ces inégalités de situation, aisément vérifiables entre les communes elles-mêmes compte tenu de leurs démographies et de leurs capacités financières respectives pour investir dans de tels supports, pourraient néanmoins être corrigées dans un futur plus ou moins proche avec la loi en préparation portant nouvelle organisation territoriale de la République, qui entend renforcer le rôle des collectivités territoriales dans la lutte contre la fracture numérique. Enfin, certains dénoncent le risque de sondocratie avec le recours systématique aux sondages d’opinion ou encore celui de plébiscite via la promotion de la participation de ratification avec le jeu du oui ou du non destiné à faire entériner par les citoyens, plutôt que les discuter et éventuellement les infléchir, les projets et les décisions arrêtés par les élus.
Pour autant, ces différents dangers et limites sont loin d’être une fatalité irréversible, de sorte que c’est avant tout la façon dont sont exploitées et utilisées les NTIC par les élus et les citoyens qui conditionne la réalisation d’une authentique « cyberdémocratie » participative.


Michel BRIAND – Vers une gouvernance contributive, quelques axes pour développer le pouvoir d’agir. Retour d’expérience sur une politique publique du numérique

Introduction

Par rapport à l’exposé préliminaire, cette intervention propose un petit pas de côté, en présentant la notion de gouvernance contributive. Cette formalisation repose sur 19 ans de pratique en tant qu’élu local, avec l’expérience du développement d’une politique publique locale du numérique, la participation à plusieurs réseaux (notamment VECAM1 et CRéATIF2) et aux travaux du Conseil National du Numérique3.
Pour reprendre les mots de Pascal Aubert, vice-président de la fédération des centres sociaux : « La démocratie participative, ça ne marche pas et c’est tant mieux. » Cette formule quelque peu provocatrice résume bien toutes les limites qu’on observe actuellement sur les formes de participation. La participation demeure une démarche globalement descendante. Dans chaque ville, on va retrouver des conseils de quartier, un Agenda 21, dans le cadre desquels la collectivité invite les habitants s’intéressant à ces questions à venir débattre des projets de la ville. Alors que nous sommes entrés dans une société du numérique où chacun peut théoriquement agir, proposer… On a aujourd’hui une abondance d’initiatives sur nos territoires et cette abondance d’initiatives continue à transformer les territoires. Ces initiatives ne viennent pas des politiques publiques, elles en sont à côté. Et le numérique, par cette possibilité de travailler en réseau et de donner à voir ce que l’on fait, ouvre un espace nouveau, un espace contributif.
La présentation portera donc sur ces aspects, en distinguant trois piliers :
– La démocratie participative, qui garde sa légitimité et l’utilité des discussions qu’elle permet, au sein d’un conseil de quartier, d’un agenda 21…
– La démocratie ouverte, ou l’open-government, l’open-data, est quelque chose qui contribue à la transparence et a bien son utilité.
– la gouvernance contributive, qui est quelque chose d’un peu nouveau et mérite peut-être d’avantage d’être présentée. C’est l’objet de cette présentation, qui s’appuiera sur des exemples locaux.
L’expérience brestoise, la logique a été de donner à voir ce qui se faisait. Il y a donc énormément d’articles en ligne, notamment sur le site www.a-brest.net. A Brest, il y a une centaine de sites associatifs, dont un bon nombre contributifs et il y a 10 sites contributifs de la collectivité, au sein desquels tout le monde a la possibilité d’écrire, selon un charte éditoriale extrêmement simple4. Cette logique s’est développée petit à petit : sur www.a-bret.net, 20 articles publiés par semaine, 1000 par an, depuis 15 ans (ce qui fait 15 000 articles publiés). On est dans une logique contributive, où l’on sollicite l’écriture des personnes. Au départ, le site était animé par l’élu (Michel Briand), mais depuis que ce dernier n’est plus élu, la dynamique continue. Pour formaliser les choses, un comité de rédaction contributif d’une vingtaine de personne a été créé pour modérer les articles. Cette logique permet de mettre beaucoup de choses en ligne. Sur ce site, une lettre hebdomadaire est publiée, envoyée à 1500 abonnés. Et il y a environ 1 500 visiteurs quotidiens, ce qui n’est pas négligeable pour un petit site thématique sur « l’appropriation sociale du numérique sur Brest ».
Sur la base d’un article intitulé « Premiers pas vers une gouvernance contributive »5, la logique développée à Brest est présentée ici (cf. schéma ci-dessous). La logique suivie est constructiviste, il n’y avait pas de visée initiale de cet ordre, et ce schéma est le résultat d’une formalisation a posteriori, sur la base de l’expérience de différents projets et de l’échange avec des collègues, notamment au sein du Conseil National du Numérique.
La logique principale suivie est bien d’articuler du « faire avec » avec des logiques « d’attention aux personnes », de « donner à voir », « d’outillage méthodologique », de « connexion des personnes » et de « politiques des communs » pour arriver effectivement à cette ébauche de gouvernance contributive.


Le « faire avec » : que tout le monde puisse accéder

Au démarrage de la politique publique du numérique sur Brest, en 1995-1996, c’étaient les débuts d’Internet et les problématiques à l’époque étaient de faire en sorte que tout le monde puisse accéder à l’outil et le découvrir. Il n’était alors financièrement pas possible de développer une nouvelle politique en implantant plein de points d’accès dans la ville. Un nouveau concept a donc été développé : les Point d’Accès Public à Internet (PAPI), proposés à différents lieux publics, au début dans seulement quelques équipements de quartier (mairies, bibliothèque). Un ordinateur était installé et le personnel animant le lieu était accompagné, permettant ainsi aux visiteurs de pouvoir découvrir Internet.
Dans une politique publique classique (dans les bibliothèques municipales par exemple), on fait quelque chose quand tout le monde est prêt. Ici, c’est l’inverse qui a été fait : « essayons de faciliter l’accès en proximité des habitants, avec qui veut bien ». La première année, seuls deux ou trois équipements de quartiers en ont bénéficiés. Et ce qui est remarquable, c’est que 12 ans après, il n’y a pas un seul équipement de quartier de la ville (qu’il s’agisse d’une maison pour tous, d’un centre social, d’un théâtre, d’une MJC, d’un patronage laïc) qui ne soit pas PAPI. La logique de faire avec les gens, à leur rythme, prend certes du temps (12 ans, c’est 2 mandats) mais cela fonctionne. Ce qui est également remarquable, c’est que cela ne coûte pas d’argent à la collectivité, dans la mesure où, dans la plupart des cas, il y a déjà des gens qui font de l’accueil et cette activité est simplement rajoutée dans les activités existantes. Le 2ème avantage est de confronter les travailleurs sociaux, les animateurs de ces lieux au numérique et petit à petit, le numérique est devenu un élément des politiques publiques dans tous les lieux de quartier. Et aujourd’hui, après 18 ans, il y a 108 lieux d’accès publics à internet, où les habitants peuvent aller sur Internet en étant accompagnés. Et ces lieux sont extrêmement variés, des restaurants du cœur, aux hôpitaux de jour, aux mairies de quartiers, etc. La logique du « faire avec » permet d’avancer au rythme des gens, d’être en proximité avec tous les publics dans leurs espaces de vie. Ce « faire avec » est donc essentiel dans une politique publique qui voudrait toucher tout le monde.

« Etre en attention » ou l’accompagnement des envies de faire

Plutôt que de décider et de décréter qu’il faut faire telle ou telle chose, on propose aux personnes d’agir. A ainsi été mis en place un « appel à projets », qu’on devrait plutôt nommer un « appel à envies » : « vous avez envie de faire quelque chose ? Faîtes-le ! » En 2014, 43 projets ont été déposés et 42 retenus. Tout les projets sont retenus et les gens qui ont envie de faire quelque chose savent qu’ils pourront le faire. En 12 ans, 500 à 600 projets ont pu être développés (dont 90 % aboutissent). La logique est l’inverse de celle des appels à projets nationaux, en donnant la possibilité à tout le monde d’agir, avec des sommes modestes et cette logique fonctionne. Il y a là à un vrai problème de fond : quand la ministre en charge du numérique lance un appel à projets sur les FabLabs, sur 150 réponses, seulement 15 sont retenues. La logique des FabLabs et de la fabrication numérique est un monde de travail en réseau et de coopération (pour produire du matériel libre, à l’instar du monde du logiciel libre). Et l’appel à projet du ministère crée de la jalousie et de la concurrence entre les gens au lieu de créer de la coopération. Aujourd’hui, il y a très peu d’appels à projets qui ont comme préambule de publier les projets. A Brest, tous les projets sont publiés6, ce qui est essentiel pour que chacun voit ce qui se passe à côté de lui et puisse partager avec d’autres acteurs. Cette politique d’être en attention n’est pas onéreuse : le coût d’un appel à projet est d’environ 150 000 euros par an (pour une quarantaine de projets), ce qui n’est pas énorme et peut être renouvelée tout les ans. Cette logique est essentielle et n’est pas si évidente à reproduire dans les politiques publiques7. Il y a là des logiques tout à fait différentes : on est dans une société où on cherche à coopérer pour avoir plus d’efficience et essayer de faire des choses ensemble, ou bien chacun cache sa copie.

« Donner à voir »

Il s’agit de donner la possibilité à tous ceux qui font des choses d’écrire eux-mêmes. Par exemple, sur www.participation-brest.fr, tout un chacun peut écrire, les membres des conseils de quartier, le rédacteur de la mairie (cadre B)… C’est à rebours des pratiques habituelles : dans une collectivité, l’écriture est réservée aux cadres A ou à la signature des élus. C’est extrêmement important de valoriser la personne qui a fait telle ou telle activité, qu’elle puisse écrire directement. Cette logique du « donner à voir » est extrêmement difficile, d’abord parce qu’écrire sur Internet, c’est difficile et les gens ne le font pas. D’autre part, culturellement, cette logique de « donner à voir », du partage des innovations dans tous les domaines est une logique qui existe très peu en France, dans les collectivités, dans les services publics. Et cette logique est très longue à mettre en place. Il y a aujourd’hui 10 sites participatifs à Brest (sur l’égalité femme-homme, l’économie sociale et solidaire, l’insertion sociale, la particioaption, la mobilité, la santé, etc.), mais il a fallu du temps pour que les services et les élus soient prêts à rentrer dans cette logique. Et aucune autre ville ne le fait. Parce que dans l’imaginaire des élus, donner la possibilité à tout le monde de s’exprimer, cela représente une prise de risque, ce qui s’avère être essentiellement une vue de l’esprit : sur les 10 sites participatifs à Brest, il n’y a jamais eu aucun problème, aucun danger en 12 ans. Il y a une modération mais il n’y a jamais d’articles refusés. Le seul vrai travail est de réussir à amener les gens à écrire.

« L’outillage », faciliter l’usage des outils et des pratiques collaboratives

Le 4ème volet, c’est de faciliter l’usage des outils (sur Brest, il y a entre 1 et 2 ateliers par semaine). Et l’avantage est que ça ne coûte rien : une demi-journée d’atelier et une demi-journée de préparation représentent 20 % d’un temps plein hebdomadaire, et il y a 2 000 employés de la collectivité. Donc, avec 1/10 000ème du temps du personnel communal, on est en capable d’outiller tout le territoire. On a également développé l’outillage méthodologique, ce qui a permis d’apprendre la coopération en marchant : le 1er projet a été de réaliser un CD « bureau libre », permettant aux gens d’utiliser Internet et la bureautique avec des outils libres et gratuits. Sans expérience, en l’espace de 2 mois, le CD a été produit (par une trentaine de personnes) et a été distribué dans toute la ville, dans les universités, dans les bibliothèques, avec une diffusion finale à 300 000 exemplaires. Cette expérience a montré l’efficience de la coopération, en réunissant les compétences complémentaires d’un petit groupe de personnes. Cette idée a ensuite été développée sur un autre projet, wiki-brest (www.wiki-brest.net), qui est un espace collaboratif, comme wikipedia, mais sur le vivre-ensemble et le patrimoine du pays de Brest. Les gens sont invités à écrire sur wiki-brest, mettre des recettes, des histoires, etc., avec des ateliers hebdomadaires. Aujourd’hui, il y a 3 000 articles publiés et 8 millions de pages vues.

L’apprentissage des pratiques collaboratives

Cette logique de coopération apparaît donc comme un élément essentiel. Et dans le fonctionnement actuel des collectivités et des services publics, les gens savent assez peu coopérer. Des formations ont donc été mises en place (http://animacoop.net, 9ème session de formation) pour apprendre des méthodes de coopération. On est rentré avec le numérique dans une société d’abondance (tous les objets numériques sont abondants et peuvent être facilement copiés et diffusés), et il faut désormais apprendre à gérer l’abondance. La coopération est une méthode qui permet de gérer l’abondance. Un exemple : les documentalistes à Brest, après un forum autour des pratiques collaboratives, ont décidés de se regrouper au sein d’un réseau de documentaliste sur Brest, et deux ans après sa création, le réseau doc@Brest (https://docabrest.wordpress.com/) regroupe 170 documentalistes. Ce réseau propose des ateliers de formation, où une personne compétente sur un outil logiciel forme les autres. Auparavant, les formations étaient dispensées à Paris et Lille et coûtaient chers (1 000 euros par personne les deux jours environs). Désormais, tout se fait localement et est auto-organisé. Il n’y a pas de budget ni de ressources et cela fonctionne !
Les pratiques collaboratives nécessitent beaucoup de liens sociaux, que les gens se rencontrent. Ce ne sont pas des réseaux virtuels, ce sont des réseaux de personnes qui grâce au réseau se rencontrent et font ensemble sur un territoire. Ces projets suivent bien une logique de renforcement du pouvoir d’agir. Le numérique est bien vu ici comme un moyen d’augmenter le pouvoir d’agir des acteurs de la cité et de valoriser ce qui se fait. Ces réseaux de coopération locale sont tout à fait reproductibles, il suffit de trouver quelques personnes motivées. Sur Brest, une grande aide est venue du fait que les personnes aient suivies les formations Animacoop. A l’école, on a appris à cacher sa copie et à travailler tout seul, et ici les gens apprennent des méthodes pour travailler ensemble et faire vivre un réseau.

Une innovation sociale abondante mais peu reconnue

Tout un tas d’initiatives de ce type sont en train d’émerger. Pour les porter, un réseau d’innovation sociale ouverte a été créé, le Réseau « Bretagne créative » (www.bretagne-creative.net/). Après un travail de collecte des innovations sociales dans les domaines de l’économie sociale et solidaire, le numérique et la démocratie locale, une soixantaine d’innovations sociales sur Brest ont été publiées. L’innovation sociale est donc abondante, mais dans les logiques de gouvernance actuelle, personne ne donne cela à voir. De la même manière, aujourd’hui, personne au ministère de l’enseignement supérieur ne se préoccupe de donner à voir les innovations pédagogiques. Il s’agit donc d’impulser une autre logique, celle du pouvoir d’agir renforcé, celle de la mise en réseau. Ce magazine, Bretagne Créative, a démarré récemment avec un noyau dur sur Brest, et d’autres émergent sur Nantes, sur Rennes, sur Saint-Brieuc, sur Lorient… L’objectif est de montrer que les acteurs des territoires en transition, des incroyables comestibles, du développement durable, du logiciel libre, de la médiation numérique, du faire soi-même, des circuits courts, des repair cafés, sont des réseaux d’acteurs qui sont aujourd’hui force de transformation sociale.
Ce discours reflète bien une autre vision de la politique, qui ne s’oppose pas à la démocratie représentative. Mais aujourd’hui, face aux enjeux des crises écologiques, économiques et sociales, une autre façon de faire est que les gens qui participent au sein des quartiers à ces transformations soient mis en valeur et reconnus comme des acteurs de la transformation sociale. Ce ne sont plus tellement les partis politiques qui portent cette transformation, mais ces acteurs sur le terrain qui font des choses extraordinaires. Des gens ordinaires font des choses extraordinaires en se mettant en mouvement et démontrent leur pouvoir d’agir. C’est un peu le message porté autour de l’idée de gouvernance contributive. C’est une vision qui montre un autre apport du numérique. Il ne s’agit pas d’utiliser le numérique pour participer à des forums ou à des débats, mais de l’utiliser pour essayer de donner une place à ce pouvoir d’agir.
Un dernier exemple sur le concept d’innovation sociale : un projet intergénération à Brest, porté par une professeure de dispositif relais (classe de collège qui accueille des élèves en grande difficulté). L’idée est de mettre ces élèves en situation de professeur pour apprendre et faire du numérique avec des personnes âgées, en résidence. Ces enfants, en grande difficulté, à partir du moment où ils assument la fonction d’enseigner, reprennent le goût d’apprendre, la curiosité et une estime de soi. C’est donc bien la problématique de l’innovation sociale : on a une professeure, déjà rémunérée, qui est amenée à faire quelque chose différemment et qui amène les gens à se retrouver citoyen de la cité. On peut retrouver tous les réseaux et initiatives mentionnés dans cette présentation sur la page http://wiki.a-brest.net.

Discussion avec la salle

Questions sur le temps nécessaire à ces transformations
Dans des projets de coopération multi-acteurs avec beaucoup d’acteurs, la question du temps nécessaire à la coopération est souvent avancée pour ne rien faire. On est dans du changement culturel et humain, c’est long car on laisse les gens venir selon leur temps. Au bout d’un certain moment, tout le monde vient, mais à son rythme. Mais un argument pour laisser le temps est l’efficience. Il y a peu ou pas de dépenses, c’est toujours bien plus efficient (l’exemple des documentalistes de doc-a-brest montre que c’est une démarche qui enrichit leur travail sans sur-coût). On est dans du gagnant-gagnant. Le travail coopératif, sur des aspects où il y a besoin de mise en réseau et de mutualisation, est extrêmement efficient. Ça marche aussi dans l’économie capitaliste ! L’innovation est ouverte dans les très grandes entreprises, c’est un modèle qui fonctionne et qui est bien plus efficient (car il permet de nouvelles idées).
Questions sur le conseil national du numérique
Le CNN (30 personnes) produit des rapports sur commande ou auto-saisine, sur l’éducation, sur le numérique… Il travail en indépendance et peut exprimer des désaccords, comme cela a été le cas pour la loi « renseignements ».
Un rapport sur l’e-inclusion et l’idée de fracture numérique avance l’idée que l’on n’est pas dans un problème d’équipement mais dans des problèmes de compréhension des enjeux du numérique (aussi bien pour les décideurs que pour les habitants éloignés du numérique). Il y a aussi la question du pouvoir d’agir, comment le numérique met en capacité d’agir des personnes.
Le CNN émet des recommandations pour les transformations des services publics, qui ne doivent pas seulement consister à la numérisation des services mais doivent aussi développer les capacités d’accompagnement (il ne s’agit pas seulement de remplir sa déclaration d’impôt en ligne, mais aussi d’avoir la capacité d’accueillir et d’accompagner, de former les gens dans les centres des impôts à remplir leur déclaration).
Questions sur le partage des pouvoirs grâce au numérique
Certains de ces outils ont-ils eu un impact sur la décision politique ? Il y a bien des groupes qui s’auto-organisent et contestent des projets publics. Mais pour Michel Briand, les exemples présentés ne s’inscrivent pas dans ce registre-là. Mais il y a bien des dimensions politiques lorsqu’on met en place des démarches ascendantes participatives, cela nécessite un apprentissage et des formes de régulation si on ne veut pas perpétuer et renforcer des discriminations. Par exemple, un système de surveillance privée a été mis en test dans deux quartiers (équivalent de l’application fixmystreet anglaise) et on a observé trois fois plus de demandes dans le quartier pavillonnaire (habitat mixte avec petites maisons) que dans le quartier social. Donc, sans régulation, on répondra trois fois plus aux demandes des populations moyennes que des classes populaires. . Cette expérimentation a permis un apprentissage aux services. Ces démarches participatives doivent être régulées car sinon on crée de la discrimination. La propension à s’exprimer ne sont pas les mêmes entre habitants de différents espaces.
Questions sur les moyens pour assurer pérennité et stabilité à ces démarches, notamment de participation des habitants ?
Certaines initiatives ont besoin de subventions publiques, mais d’autres réseaux d’échanges et de partage sont autonomes. Développer une culture de la participation et de la coopération sur un territoire, il en restera toujours quelque chose. Quand vous avez gouté à la coopération, vous ne revenez pas en arrière.


Jacques Houdremont – Quelques enseignements en matière de participation numérique dans les quartiers de la politique de la ville. A partir notamment de l’exemple de la M@ison de Grigny (69)

L’intervention s’appuie sur l’expérience de la maison de Grigny et les enseignements que l’on en tire. Le projet de la maison de Grigny est né en 2002. C’est une initiative publique, une commande politique. En 2002, Grigny, petite ville de 5600 habitants à l’époque (en communauté de commune avec Givors, 20 000 habitants) a un maire, René Balme, qui a très vite perçu les enjeux du numérique (à l’époque, les « NTIC »). Suite à une première expérience, le maire a souhaité qu’une démarche participative se mette en place pour élaborer un plan des usages du numérique dans les quartiers populaires, avec l’intuition que sans intervention publique très forte, ces NTIC allait renforcer la fracture sociale (idée tout à fait novatrice pour l’époque). A l’époque, Jacques Houdremont est chef de projet politique de la ville à Grigny.
Cette démarche de participation a donc été créée autour du numérique et avec le numérique. En s’appuyant sur les conseils de quartiers, et en prenant beaucoup de temps, en cherchant les bons interlocuteurs (commerçants, enseignants, éducateurs, citoyens « porte-voix », etc.) et en les convoquant en tant qu’individus. Globalement, 75 personnes se sont portées volontaires, 120 projets ont émergé de ces discussions pendant deux mois, avec deux ou trois principes forts. Un petit groupe a émergé et perduré et a permis de continuer cette démarche participative (le bâtiment n’était à l’époque pas commencé de construire). Les points forts, principes qui sont sortis de cette charte des usages du numérique :
1. Proximité : choix de ne pas partir de mise en place d’espaces numériques. Idée d’aller chez les gens, dans les lieux associatifs (idée venue d’ATD quart monde dans les bibliothèques de rue… pourquoi ne pas faire la même chose mais avec le numérique ?
2. Mission de service publique tout le monde doit pouvoir accéder au matériel et à la formation.
3. S’appuyer sur les contenus : à l’époque, ce n’était pas évident de sortir de la simple maitrise technique des outils pour s’appuyer sur la production de contenus. Mise en place d’un portail de mise en commun avec les associations.
4. Créé du lien social : en 2002, en contre pied à l’idée que l’informatique isole, en développant les aspects d’entraide et de partage des compétences (pour s’équiper et entretenir le matériel par exemple).
Cela s’est développé assez rapidement, avec l’enthousiasme. Un plan a été élaboré trois mois après ! Et l’intelligence politique a été de suivre et mettre en œuvre tout de suite, dès 2003, ce qui a permis de positionner ce qui allait devenir la maison de Grigny comme le pôle de ressources sur les usages du numérique. Jacques Houdremont passe alors de chef de projet à coordinateur du numérique, avec l’idée de construire ensemble, en partant des besoins des gens et prenant en compte les premiers enjeux et potentiels du numérique auprès des acteurs du développement local.
5. Une démarche d’éducation populaire avec le partage des valeurs qui vont avec : entraide, solidarité, partage des compétences, ce qui a été le fil conducteur de ce projet. L’acquisition autant de ces pratiques (découverte des logiciels etc.) que de ces enjeux s’est réalisée dans le cadre du faire. On ne décrète pas la participation, on essaye de la faire et la produire, et ça commence à prendre du sens.
2003 : le projet commence dans la rue, avec « l’internet de rue ». Sur le même principe que les réunions Tupperware mais sans rien à vendre, on va chez les gens et on suscite des réactions pour comprendre en quoi le net peut avoir des utilités. Cette question de la proximité autour de la sensibilisation à l’époque et autour des démarches de participation aujourd’hui, reste fondamentale.
Le projet s’est développé dans la rue et le bâtiment était construit en même temps au cœur du quartier sensible de Grigny. L’inauguration se fait un an après, avec 700 personnes autour, ce qui illustre l’enthousiasme et le dynamisme que peuvent susciter ces démarches de proximité et de participation. Le projet s’est poursuivi autour des pratiques collaboratives, notamment sollicitations de l’extérieur pour accompagner les élus de petites collectivités territoriales pour la mise en place d’espaces de travail collaboratif (début du web 2.0) pour élaborer des plans territoriaux. Comme les citoyens, il ne faut pas oublier que les élus aussi doivent se former et approprier les fondamentaux avant de réfléchir aux enjeux du numérique. Et là aussi, cela passe par le faire.
La gouvernance du projet
La gouvernance du projet de la maison est importante parce qu’elle est née dans le cadre du service public mais elle a réellement fonctionné dès le début comme une association : mise en place d’un comité d’usagers, pas de programmation ou d’initiatives publiques prises sans qu’elle fasse l’objet d’un travail collectif, travail collectif et pas de remise en cause par les élus du travail collectif, y compris le nom, M@ison « Mutualiser l’information pour le savoir et l’ouverture au numérique » (nom trouvé lors dans le cadre du 1er forum).
La Maison s’est développé et est devenue rapidement pôle ressource pour le Grand Lyon et la Région Rhône-Alpes, notamment pour l’accompagnement des publics aux usages du numérique (et pas pour mettre en place des lieux d’accès, des plates-formes), notamment dans les quartiers populaires face aux fractures identifiées en 2002, notamment face à l’administration en ligne (qui aujourd’hui crée des ruptures de droit), et face à l’insertion professionnelle et sociale.
Et avec la volonté que cette parole-là soit prise en compte dans tous les dispositifs notamment d’élaboration des contrats de ville car c’est une parole qui est bien peu considérée dans les faits. Si on considère que l’outil numérique mis à disposition peut donner la parole à ceux qui ont une culture générale et des bonnes conditions sociales, si cela n’est pas accompagné vers les publics les plus éloignés, c’est encore un pas de plus vers un peu plus de ségrégation. Si on veut une vraie prise de parole par le numérique vis-à-vis de ces populations, il faut impérativement accompagner ces populations-là, et il faut donc des moyens financiers et humains suffisants.
Logique de participation
En 2006, les villes de Givors et de Grigny intègre le Grand Lyon. L’équipement s’était beaucoup développé et devait revenir à la ville de Grigny. La question se pose quant au devenir de la maison. Le plus simple pour le maire de l’époque a été de remettre les clés de la maison aux acteurs du projet. Est ainsi créé une association sur le projet de la maison de Grigny. A partir de ce moment-là, ce qui était induit dans les formes de gouvernance a été officialisé à travers la mise en place de l’association et cela a aussi permis le déploiement et l’essaimage des activités sur le territoire lyonnais, mais aussi à l’échelle nationale voire internationale.
Qu’est-ce qu’on a théorisé sur cette expérience ?
Dès le début, le choix a été fait d’accompagner cette expérience d’un conseil scientifique autour de la maison, afin d’être aidé pour théoriser et formaliser à propos de cette expérience, pour caractériser les conditions sociales pour le développement de la participation avec le numérique. »). Il y a des conditions à réunir lorsque l’on parle de participation dans les quartiers :
La sécurité économique (1er hiatus lorsqu’on intervient sur les quartiers politique de la ville avec des taux de chômage assez conséquent) ;
La sécurité culturelle et psychologique (quand on ne sait pas de quoi le lendemain est fait, c’est compliqué de s’inscrire dans une dynamique participative) ;
La liberté de parole (avec des gens qui n’ont pas l’habitude de parler en public, avoir la curiosité culturelle de regarder des expériences autres, etc.) ,
L’image et la symbolique du numérique. Dans ces quartiers, l’échec scolaire reste un marqueur social important. A l’heure où l’on parle des Espaces Numériques de Travail, il faut imaginer des populations ayant subi l’échec scolaire et avec des enfants scolarisés, pour lesquels ils sont progressivement confrontés avec des enseignants à travers une interface. Ce n’est vraiment pas évident et cela doit aussi s’accompagner.
1ère condition : l’accès au matériel et au numérique. Les choses se sont certes bien résorbées mais une étude de la Caisse des Dépôts de 2010 indique que globalement, dans les quartiers « politique de la ville », le niveau d’équipement est 20 % en dessous de la moyenne. Idem pour les accès à l’internet.
2ème point : l’usage des jeunes de l’Internet. Ils sont à l’aise dans l’environnement numérique mais ils en ont des usages très réduits (réseaux sociaux, tchat, phénomène de popularité, ceux avec qui on communique réellement sur les réseaux sont ceux avec qui ont communique physiquement) et sur les jeunes internautes, seuls 2 % auraient des usages créatifs avec les réseaux (transmettre une passion, du savoir, etc.).
3ème facteur : sur la politique de la ville, c’est la prise en compte par les professionnels de la ville des enjeux du numérique proprement dit. Il y a un écart entre le « droit commun » et l’appropriation dans les quartiers populaires1. Cela est confirmé par une étude Flash faite par l’IRDSU qui montrait que (sur 32 réponses), deux tiers des contrats de urbains de cohésion sociale prennent en compte la question du numérique sous des axes particuliers, et globalement, c’est quelque chose de complètement minoré dans les contrats. Globalement, les acteurs de la politique de la ville demandent à ce que les élus soient formés.
Quels sont les atouts du numérique par rapport à ces quartiers-là ?
L’effet porte-voix : en organisant la parole des habitants sur ces quartiers, cela contribue à désenclaver des quartiers (exemple d’accompagnement d’activités de petits groupes de femmes, cela valorise leur savoir-faire et cela les ouvre sur l’extérieur – mise en relation avec des projets similaires etc.).
La diversité des formes d’expression : un des atouts du numérique est de pouvoir diversifier les formes d’expression (écrit, vidéo, photos, audio radio web), cela permet de faire exprimer des gens qui ne prendraient pas la parole autrement (se centrer seulement sur l’écrit s’est révélé être un échec pour ceux qui ne le maîtrisent pas). Et il ya des choses très intéressantes autour du développement des médias alternatifs et citoyens (comme par exemple la radio web « paroles d’habitant » à Grenoble).
L’aspect ludique et l’interactivité : par rapport à des formes d’expression classiques, une des accroches est le côté ludique qui fait que l’on peut pousser les aspects coopératifs (carto-partie, radio web local, télévision participative…). Ces formes permettent le développement de la participation et de l’expression des habitants et poussent à la créativité.
Favorise l’intergénérationnel : sur Lyon, à travers un projet de plantations traduit via un blog, les jeunes ont crée des relations avec « les vieux » et leur disent bonjour dans la rue.
Les relations de proximité sont importantes vis-à-vis des quartiers populaires. Il est importance que les espaces publics numériques soient très ouverts, qui aillent vers les gens et sortent de leurs 4 murs, avec des animateurs qui ne soient pas des acteurs multimédias dans le sens où on l’entendait il y a 10 ans mais qui soient de véritables acteurs du développement local, considérés en tant que tels (comme c’est le cas à Joué-lès-Tours).
La découverte et l’appropriation des usages : Les PAPI à Brest, le pass’numérique porté par la région Rhône-Alpes. Ce dispositif permet, à travers une formation de 10 heures, d’aller au-delà de la simple maitrise technique, mais d’aborder aussi comment maîtriser son identité numérique sur le net, l’usage et les place des réseaux sociaux etc. Donc vraiment quelque chose de centré sur les enjeux de la participation. Aujourd’hui, il faut dépasser le cadre des savoirs de base (l’usage des logiciels) pour aller à ce cadre-là. Il y a toute une éducation sur son identité numérique qu’il faut accompagner, et cela touche tout le monde.
Des projets collectifs : le net a un atout, quand on est dans de l’accompagnement, les choses se font quand les gens se connaissent et qu’ils partagent réellement. Alors ils peuvent partager des savoirs et des savoirs faire et les mettre à disposition de tous.
Les conditions de mise en œuvre :
La formation des acteurs du développement local est fondamentale. L’accès au droit, l’administration en ligne, certains travailleurs en centre d’insertion sont un peu paumés dans tout ça. « Aller expliquer à un chômeur qu’il faut que son CV soit dans les nuages, dans le cloud ! » Il faut vraiment qu’il y ait une formation des acteurs par rapport à leurs propres usages mais aussi par rapport à la posture professionnelle qu’ils peuvent avoir. Se former au numérique et prendre le temps de réfléchir comment cela va modifier les postures professionnelles va prendre du temps mais c’est prendre en compte un environnement réel d’aujourd’hui, car le numérique irrigue tous les aspects de la société et on ne peut pas faire du développement social sans se préoccuper de cette question et se demander comment on agit.
Education : on ne revient pas dessus, cela a déjà été abordé.
La mise en réseau : on ne peut pas demander aux acteurs du développement local d’être des spécialistes de tout. Il faut que ce soit des choses appropriées à travers la posture professionnelle mais il faut aussi pouvoir s’appuyer sur des pôles ressources qui vont permettre d’apporter de la plus-value. Et, entre autres, la modification des espaces publics numériques et la mise en réseau avec des réseaux qui ne croisent pas, y compris avec le monde économique : on parle aujourd’hui beaucoup des potentialités des FabLabs, mais ce n’est pas parce qu’on est sur des quartiers populaires que cela doit être excluant, il faut la même audace.
L’action coordonnée sur les territoires : L’idée des « appels à envie » est très intéressante. Le rapport du Conseil National du Numérique ou celui du président des départements de France abordent ces questions-là. Les appels à projet sont aujourd’hui très sanctionnants, et ce n’est pas ça qui va créer de la dynamique. Il faut des visions globales sur les territoires, il y a effectivement des réalités financières mais il y aussi possibilité de mutualiser les choses, que le centre social du quartier travaille avec l’association d’insertion qui va travailler avec l’entrepreneur du coin. Pour cette mise en réseau-là, la coordination de cette mise en réseau, la possibilité de mutualiser, les pouvoirs publics ont une responsabilité très importante.
Pour conclure en forme de boucle, avec un retour sur la maison de Grigny. Une petite anecdote : au démarrage du projet, un sénateur UMP (considéré comme le « père du câble » en Rhône-Alpes) et le maire de Grigny apparenté PCF, se sont rencontrés, ont partagés sur leurs visions différentes de la société et la difficulté d’être maire au quotidien, et ont terminé en se disant qu’il y a un tel impact de la société du numérique sur le devenir de notre société qu’il est nécessaire de travailler ensemble. C’est ce qui a permis à la maison de démarrer dans de très bonnes conditions. Et ce n’est pas la chance qu’a eue la maison ces derniers mois, car il y a eu une bascule politique à Grigny et ce très beau projet s’est terminé hier par un dépôt du dossier au tribunal administratif pour liquidation.
Au-delà du politique, il faut élargir à la responsabilité du décideur : il y a vraiment aujourd’hui un enjeu de bien commun, de l’intérêt collectif. Il y a des cas qu’il faut savoir dépasser à un moment, car quelles que soient ses opinions, l’exclusion génère la violence et aujourd’hui, si on ne gère pas la question du numérique, on renforce la ségrégation.
Le modèle économique développé aurait pu être viable, mais là, il y a eu largement asphyxie avec une baisse brutale de subvention à moins 60 % qui ne permet pas de se retourner. Il y a la question de l’importance de la décision politique des élus, mais aussi l’implication des institutions (style CAF) qui ne peuvent plus se contenter de mettre en place des services en ligne mais doivent aussi se demander comment accompagner toute la mise en œuvre de cette politique de dématérialisation.

Discussion avec la salle

Une question sur la dimension politique du numérique
Le numérique est un outil nouveau et il faut apprendre à s’en servir. Et la diffusion de cet apprentissage est extrêmement marquée par la différenciation sociale. Des politiques ou des pratiques explicites peuvent permettre une espèce de lutte contre les discriminations d’accès à ces technologies. On parle de gouvernance contributive et de soutien politique à ces pratiques. Le soutien et les perspectives associées au numérique sont-elles variables en fonction des orientations politiques ?
Ces questions sont politiques, mais pas au sens partisan. La difficulté vient du fait que la plupart des responsables politiques n’ont pas encore compris les enjeux de transformation du numérique. Les élus mettent des millions, voire des milliards d’euros sur les infrastructures, mais ne se permettent pas d’ouvrir la réflexion sur les usages de ces infrastructures. Ce n’est pas la question, on regardera la télé, on fera ses achats etc. S’il n’y a pas de développement des services en même temps que l’on développe une politique d’infrastructures du numérique, on va effectivement avoir une certaine colonisation de la France par le système des plates-formes nord-américaines. Le vrai enjeu aujourd’hui, c’est l’enjeu de la littératie numérique. La transformation numérique est un paradigme, il y a un certain nombre de clés de lecture qui sont quasiment invariantes :
Première clé : le système des plates-formes. Lorsque le numérique arrive, des plates formes se mettent en place et deviennent hégémoniques (google, facebook, amazon, leboncoin, airb’n’b etc.). Ce système de plate-forme est prégnant, et pour développer l’économie collaborative ou les circuits-courts en France, il faut réfléchir aux systèmes de plates-formes pour les mettre en valeur.
Une deuxième clé est tout ce qui concerne la notion de consomm’acteur : avec le numérique, on est tout à la fois acheteur et vendeur. Sur les blogs, vous lisez et vous écrivez.
La troisième clé, c’est le système de pair à pair. Ce sont tout les systèmes qui à la manière de wikipédia, les cartes ouvertes, produisent des biens communs de façon efficiente à partir de gens qui s’impliquent. Le pair à pair est vraiment quelque chose de structurant.
4ème clé, ce que Bernard Stiegler appelle le pharmakon. Il y a dans toutes innovations technologiques, et donc dans le numérique, de bons côtés et des mauvais côtés. Les mauvais c’est la surveillance massive par exemple.
Aujourd’hui, que ce soit l’économie collaborative, la musique, l’enseignement, l’administration, la santé, ces clés de lecture-là s’appliquent pareillement à la transformation de n’importe quel secteur d’activité par le numérique. Et c’est un enjeu important de compréhension. Il y a des dysfonctionnements dans la gouvernance car notre société se transforme relativement rapidement et les décideurs ne prennent pas en compte ces choses-là. Par exemple, l’université de Bretagne a mis énormément d’argent dans les équipements, les salles de visioconférence etc. Mais sur le travail collaboratif des enseignants, comment on transforme effectivement la façon de travailler, on apprend à coopérer, quasiment rien n’a été fait. On a besoin de cette gouvernance contributive, et elle peut marcher à n’importe quelle échelle de gouvernance. Donc, on fait du politique au sens d’une société plus inclusive, où chacun a plus de pouvoir d’agir et favorise les circuits-courts, etc. Et les responsables des parties politiques, quel qu’ils soient, n’ont pas encore tout à fait compris ces enjeux-là.
Une majorité d’acteurs en position d’exercice du pouvoir (politiques, chefs de service) n’est pas prête à remettre en cause ses façons de fonctionner. Toutes les personnes en fonction d’encadrement sont concernées : par exemple, le numérique doit permettre de penser les formes de travail différemment. Il y a par exemple encore beaucoup de réticences autour des formes de travail à distance, car ces formes induisent que l’on soit beaucoup sur la délégation, donc sur la confiance a priori. Donc tout cela est éminemment politique comme choix.
Autre exemple, une commande pour favoriser l’expression d’habitants qui ne s’expriment jamais débouche sur une plate-forme de libre édition, complètement transparente et publique. Il y a alors des retours des chefs de services qui voudraient bien modérer les propos publiés (alors que la plate-forme est volontairement hébergée à l’extérieur et ne représente pas la voix officielle). On demande d’aller chercher la parole, mais lorsqu’on la donne, il faut aussi savoir l’accepter, accepter des postures professionnelles différentes. Il y a une culture à changer, il faut accepter de se faire aussi bousculer parfois.
Une question sur l’évaluation de ces dispositifs
Quels sont les retours sur les pratiques, les usages, les effets de ces nouvelles formes de gouvernance ?
L’évaluation est une dimension importante. Et il faut se donner les moyens de cette évaluation, pour que cette question du numérique soit acceptée par des directions (accepter que des agents passent du temps sur un ordinateur, se doter d’outil de veille, ne pas réinventer ce qui se fait déjà etc.). Il faut permettre aux équipes et à ces projets d’avoir des réflexions et des visions prospectives (par exemple sur les dimensions éducation populaire de ces évolutions technologiques …).
C’est un mouvement historique : wikipedia n’a que 15 ans, les cartes ouvertes vont devenir la norme alors qu’il y a 10 ans, on pensait que ce n’état pas possible à faire. Par exemple, le projet GeoBretagne est un projet qui a permis de rendre interopérable tous les systèmes d’information géographique de Bretagne et le fond de carte choisi est open street map, le fond de carte IGN est un second choix. On voit apparaître des secteurs dans lesquels les logiques de coopération et de partage deviennent dominantes. Dans l’éducation par exemple, on voit les mêmes choses, les cours en ligne, la Khan-academy. On voit apparaître dans toute une série de secteurs de la coopération, et celle-ci étant efficiente, elle va plus vite que les anciens modèles : l’encyclopédie de Microsoft n’a pas tenu, Universalis vient de fermer et les éditeurs de manuels scolaires peinent à trouver un modèle économique sur lequel bâtir leurs ouvrages.
Autre exemple : open class rooms, la principale plate-forme de cours, hors du système de l’enseignement supérieur, tous ses cours sont dans une licence qui permet la réutilisation gratuite et il y a simplement un système premium avec des services en plus. Donc, on fait du gratuit avec un peu de payant supplémentaire facultatif. Et ces modèles économiques-là sont extrêmement efficients et si on n’y prend pas garde, ces services partent chez les grandes plates-formes. L’enjeu aujourd’hui d’une gouvernance en France, c’est de faire que sur les services publics, la santé, l’éducation, nous soyons capables de mettre en place des modèles économiques liés effectivement à cette économie du numérique. Et là, il y a de vrais enjeux de société pour lesquels on a besoin de littératie numérique et de compréhension.

Mickaël Clément – Retour sur l’expérience de l’Agora Rabière

Une vidéo de présentation du projet d’Agora Numérique dans le quartier de la Rabière (blog de quartier, une trentaine d’Espaces Numériques de Travail, incubateur d’idées et de projets) est projetée (disponible en ligne ici : https://www.youtube.com/watch?v=u9xm-5OZp9s).
Cette action existe depuis un an et demi à la Rabière, portée par l’association Résoudre, avec la volonté de faire passer d’autres valeurs au niveau de l’enseignement, de la participation avec les habitants, etc.
Ce projet vise à montrer à quoi peut servir Internet et le mettre au service d’un territoire, faire monter et remonter des projets, valoriser l’image du quartier et de ce qui s’y passe. Plusieurs objectifs ont été définis :
L’appropriation de l’outil numérique par les habitants ;
Favoriser l’intégration des nouveaux jocondiens (qu’est-ce qu’il y a sur mon quartier ? etc.) ;
Renforcer la participation citoyenne ;
Travailler autour d’un projet global avec les habitants, les associations, les acteurs du quartier ;
Valoriser l’image du quartier de la Rabière (en sortant notamment de la répétition de clichés stigmatisant et en montrant aussi les initiatives positives).
L’agora de la Rabière a bénéficié de tout un travail existant en amont, avec une culture commune préalable du travail ensemble. Il existait une terre fertile pour pouvoir mettre des choses en place. Quand on est arrivé avec l’idée de travailler ensemble entre acteurs associatifs et de partager de nouveaux projets, il y avait déjà quelque chose de similaire préexistant, avant l’outil numérique. Cela compte en termes d’appropriation, d’ouverture et de partage des projets. Il y a aussi eu la volonté de positionner l’Espace Public Numérique comme étant celui du quartier et pas celui de l’association Résoudre, avec la volonté d’aller au plus près, à la rencontre des habitants (avec également deux EPN mobile qui peuvent être prêtés gratuitement).
Suite à toutes ces idées et réflexions, a été ouvert l’année dernière un blog de quartier, où n’importe qui, sans modération, peut s’exprimer et montrer ses projets (surtout des acteurs associatifs ou des commerçants pour l’instant). Il reste beaucoup de travail, particulièrement au niveau des habitants où on est encore au niveau des balbutiements. Des formations existent et sont dispensés, au sein de l’EPN, notamment par des personnes déjà formées.
Les bonnes réussites sont les Espaces Numériques de Travail, au nombre de 32. Si des habitants ou des partenaires ou des associations ont besoin d’un petit espace de travail, on leur ouvre totalement gratuitement et ce sont des habitants, formés, qui gèrent ces outils-là. Cela paraît tout petit mais c’est une réussite très importante. Il y a une volonté de s’effacer pour que ce soit vraiement leur outil. Cela demande beaucoup de travail et de temps.
Et il y a encore beaucoup de projets à venir, autour de la vidéo, du recueil de témoignages à diffuser en ligne, un projet de création d’un vidéo-maton…
Le projet d’Agora Rabière repose bien évidemment sur du militantisme mais les coûts de fonctionnement sont en même temps très réduits (103 euros par an pour les frais d’hébergeur), ce qui veut dire que si l’association ou le centre social disparaissent, ces outils devraient quand même pouvoir perdurer. Mais la question, comme dit précédemment, est bien : dans quel sens veut-on développer l’outil ? Car cela nécessite bien évidemment des moyens pour pérenniser et développer ces activités.
Ce qui est intéressant est tout ce qui peut naître au niveau numérique sur le quartier. Par exemple, il y a eu une démarche de gestion urbaine de proximité sur le quartier de la Rabière et le petit groupe actif du quartier, avec les services de l’Etat et ceux de la ville, ont été voir sur open street map pour voir la cartographie, qui s’occupe de quoi, etc.
La formation n’est pas faite à l’association Résoudre, il y a la volonté que ce soit d’autres personnes du quartier qui dispensent les formations, par exemple, que les commerçants puissent alimenter leurs propres pages, etc.
Un point sur la formation : pour monter ce projet, l’association s’est dotée d’un emploi d’avenir qui travaille sur l’EPN, qui a passé la formation « Conseiller d’Animation Technique d’Information et de Communication » (le CATIC) et dans le référentiel de cette formation, il n’y a pas un seul mot sur la médiation numérique ! On apprend à démonter et réparer un PC mais à aucun moment, les bases de la médiation et de l’accompagnement numérique. Si on veut aller vers les habitants et faire de la participation, il faut former les animateurs.

Discussion avec la salle
Question sur le rapport aux institutions et les liens avec les centres sociaux
Le lien avec le centre social a vraiment été fait avec la construction du projet de territoire du centre social, avec l’implication des habitants (parfois grâce à des Espaces Numériques de Travail). A cette occasion, utiliser l’outil numérique pour partager l’information est devenu naturel. Il y a d’autres projets en cours. Par exemple, la rénovation du quartier à venir pourrait être l’occasion d’associer les habitants pour savoir ce qu’on fait de cette partie du quartier. Il y a également la volonté d’ouvrir, avec d’autres quartiers de l’agglomération de Tours (rapprochement déjà à l’œuvre avec le quartier du Sanitas). Le projet est travaillé avec la nouvelle municipalité et l’élu référent. Il y a aussi un enjeu avec la mise en place des conseils citoyens. Et un projet existe de créer une maison de l’agora ou une maison de la participation. Il y a de l’écoute et encore du travail à faire avec la ville, l’Etat…
Question sur les profils des habitants ou commerçants qui se sont appropriés l’outil
Toutes les associations du quartier ont assimilés cet outil (sauf les associations sportives pour lesquels ils restent du travail à faire), au point que certaines se sont demandées si elles avaient besoin d’un site internet pour communiquer et si cet outil ne leur suffisait pas… Tous les commerçants (sauf un) ont joué le jeu, amis ce ne sont pas encore eux qui contribuent directement. Pour les habitants, cela se fait surtout par les Espaces Numériques de Travail, où ils se passent pas mal de choses, comme espace de collaboration de groupe. Quelques habitants ont posté des articles, mais cela reste encore à un stade peu développé. Sur 2014, avec toutes les visites sur les ENT, presque 100 000 visiteurs et 150 articles mis en ligne, et aucune modération à faire (ce qui était un choix au départ de ne pas faire de modération a priori) malgré une période d’élections municipales en 2014.
Question sur les éventuels impacts de ces expériences (maison de Grigny, Agora de la Rabière) sur la politique de la ville (contenu, mode d’élaboration…)
Les animations de proximité présentées ont été citées plus d’une fois par un certain nombre de ministres. Les expériences de Grigny ont souvent servi d’illustrations dans les débats nationaux sur la politique de la ville
A Joué, lors de l’élaboration du futur contrat de ville (actuellement en cours), le numérique apparaît dans les débats, les expérimentations en cours commencent à être reconnues. Ccela nécessite beaucoup de communication, auprès des élus mais aussi au niveau des services de l’Etat et des décideurs. Sur Tours, les enjeux du numérique commencent à être compris et entendus et on les retrouvera dans le contrat de ville, sans doute dans les enjeux transversaux.
Il y a des signes positifs, comme les centres de ressources sur les politiques de la ville (comme ville au carré) qui s’approprient cette dimension. Un autre signe vient des fonds européens qui en font une priorité et du coup, cela interpelle et oblige aussi ceux qui rédigent les programmes à le prendre en compte.
A Tours, sur le quartier du Sanitas, c’est la mise en place du projet social de territoire et l’arrivée d’une nouvelle équipe sur le territoire qui a bousculé un peu les pratiques, les collaborations, le réseau partenarial et qui a permis l’ouverture d’une Agora (non encore ouverte aux habitants). Et ce n’est pas évident pour les travailleurs sociaux de s’emparer de ce type d’outil. Il ya des besoins de terrain qui obligent les acteurs institutionnels à revoir leurs modes de fonctionnement et d’interventions et à encourager ces dynamiques partenariales qui apportent beaucoup d’efficacité.
L’exemple et l’ouverture du projet de Joué-lès-Tours a permis qu’il essaime au Sanitas. Et le projet a pu aussi bénéficier des rencontres des autres partenaires grâce à cette posture d’ouverture.
La question du donner à voir permet de ne pas rester dans un entre-soi et influence et permet un vrai partage des savoirs et de l’expérience. Chacun peut ainsi monter en compétence et chaque territoire peut aller à son rythme et construire ses projets en fonction de ses propres objectifs.

Hélène BAILLEUL – Tous urbanistes ? Utopies et réalités des dispositifs numériques dans le domaine des projets urbains

Ce slogan, « Tous urbanistes », vient d’une application « Ville sans limite », développée par l’architecte Alain Renk, comme solution numérique pour favoriser la participation citoyenne. Cette affirmation est nuancée par un point d’interrogation et un sous-titre « Utopies et réalités des dispositifs numériques dans le domaine des projets urbains », car ces dispositifs numériques charrient beaucoup de croyances et d’enthousiasmes mais lorsqu’on les observe plus précisément, on constate un certain fossé entre les promesses et la nature des expérimentations réelles.
L’exposé s’appuiera beaucoup sur la ville de Rennes, qui a développé beaucoup d’expérimentations sur les dispositifs numériques. Le propos sera centré sur la participation citoyenne dans le cas de l’urbanisme, thématique très technique, en s’intéressant plus spécifiquement aux outils de médiation urbaine par les images, et notamment par la 3D. Lorsque l’on regarde des corpus d’images en situation, on voit des choses très variées selon les finalités (communication territoriale, ateliers d’urbanisme augmenté…). Enfin, en suivant le fil des images et de la modélisation de la ville, on regardera du côté des jeux sérieux, qui proposent toujours plus d’interactivité, de capacités pour l’usager d’interagir et de décider (par la simulation).
Introduction : enjeux de la ville citoyenne dans le paysage français
L’histoire de la ville citoyenne renvoie à une évolution de la gouvernance locale : les groupes d’action municipaux dans les années 1970, puis la décentralisation et l’autonomie locale dans les années 1980 avec l’idée que la décision se rapproche du citoyen, puis dans les années 1990, une forme d’institutionnalisation des dispositifs participatifs et dans les années 2000, une forme d’expérimentation de ces dispositifs dans les territoires, au-delà de ce qui est fixé par la loi.
Pour le cas de Rennes, les élus ont mis en place des démarches quartier dès 1983 et des conseils de quartier dès 1997. Il y a donc une dimension de « précurseur » dans le cas de cette ville, certainement liée au fait qu’elle est dirigée par des élus socialistes installés de longue date, qui vont assez tôt doter les conseils de quartiers d’une enveloppe financière, et qui installent des directions de quartier dès les années 2000. Au cours des années 2000, apparaissent des expérimentations, notamment la caravane des quartiers (en 2009) et des événements locaux temporaires et itinérants sur l’urbanisme et la culture. Et récemment, il semble y avoir un retour à des propositions plus pragmatiques avec un réinvestissement des conseils de quartiers (lancement en 2015 de la fabrique citoyenne) et la mise en place de budgets participatifs. Cela peut s’interpréter comme une forme de réinstitutionnalisation, avec des formes plus classiques de dispositifs participatifs prônées par la ville de Rennes, après une phase d’expérimentation tous azimuts. Après ces constats d’une structuration de la participation en France, il faut rappeler comment elle a été pensée par les scientifiques.
De la proximité à la participation
Du point de vue de la science politique, la référence en la matière est Sherry Arnstein1 qui a très tôt mis en évidence que lorsque l’on parle de participation citoyenne, encore faut-il préciser quel est le degré de participation, entre information, consultation, concertation, participation (co-construction)…
Pour le chercheur, dans une démarche d’évaluation de ce qui se fait en matière de participation, cette échelle de la participation peut être intéressante. Mais il faut peut-être également arriver à s’en extraire, car cette classification conduit à découper des moments de la citoyenneté, or, pour l’habitant, être informé, être consulté ou participer, ce sont des facettes de la citoyenneté qui s’entremêlent dans la vie quotidienne. Et il y a eu une série de travaux assez normatifs sur les dispositifs de participation, qui essayaient de les classer et ne s’appuyaient guère sur l’expérience du citoyen dans ces démarches.
De la théorie à la pratique
En voulant dépasser une approche en termes de sciences politiques un peu normative, l’objectif est de chercher à regarder ce qu’il y a de spécifique dans la participation citoyenne dans le cadre de l’urbanisme. Finalement, comment l’urbanisme participe de la ville citoyenne ?
On voit vraiment le tournant au moment de l’énonciation de la problématique du développement durable et d’un nouveau modèle pour les urbanistes, celui de l’urbanisme participatif, notamment mis en évidence dans la charte d’Aalborg en 1994, où finalement faire la ville durable, c’est aussi faire la ville avec ses habitants. Pour l’urbaniste en charge de projets, l’intégration des publics doit se faire dans les processus de conception et d’action, et l’urbaniste doit donc développer de compétences de médiation. On voit d’ailleurs se développer des formations en aménagement et urbanisme sur l’animation de réunions, la mise en forme des données de projet afin de pouvoir être restituées aux habitants. On voit donc ce tournant dans l’urbanisme au cours des années 2000 où le professionnel devient un médiateur.
Ainsi, pour faire une recherche sur « en quoi l’urbanisme participe de la ville citoyenne ? », on doit aller chercher et piocher dans différentes disciplines :
la science politique, l’analyse de la citoyenneté en tant que capacité pour le citoyen d’avoir le pouvoir ;
les sciences sociales qui vont s’intéresser à ces fameux publics (qui sont ces publics de la participation ? et qui sont les participants ?) ;
et la science Info-Com car on est dans des relations médiatisées, où l’outil et la configuration qu’il va fabriquer ne sont pas neutres et vont vraiement jouer (que ce soient des blogs comme vus ce matin ou des images comme on le verra ici).
L’objet de ma recherche est donc bien l’usager des dispositifs participatifs urbanistiques : on est toujours dans des configurations assez particulières, avec des participations ponctuelles dans un espace-temps correspondant à la conduite des politiques publiques, et plus spécifiquement des projets urbains (avec un point de départ et d’arrivée). Ces dispositifs peuvent être soit simplement informatifs, soit plus directement participatifs. Et enfin, ces dispositifs peuvent avoir des finalités contradictoires, la production d’images en urbanisme étant prise souvent entre deux enjeux très contradictoires : convaincre des élus, des financeurs, des partenaires de la politique publique ou bien discuter, rendre malléable ce projet urbain. Et ces finalités contradictoires, les habitants les cernent très rapidement.
Faire participer : le rôle de la médiation
La médiation urbaine serait ainsi le moment où l’on essaye d’intégrer des parties-prenantes de plusieurs natures. L’idée, derrière la médiation urbaine, est de faire participer, et il y a une injonction à la participation qui est très forte actuellement, dirigée vers les professionnels de l’urbanisme, les élus mais aussi les citoyens. La logique à l’œuvre est que plus on améliorera la qualité de la médiation, plus on fera participer.
Pour comprendre ce qui se passe dans la médiation urbaine, il faut entrer dans les dispositifs. Et ce que l’on constate, ce que disent les acteurs, c’est que la matière dont il est question dans ces situations de mise en débat se complexifie de plus en plus. Expliquer la mise en œuvre de ces projets devient une entreprise de plus en plus difficile. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce constat :
une complexification de la gouvernance urbaine : organiser la médiation entre les dizaines d’acteurs différents (privés, publics, politiques) impliqués dans un projet urbain est une activité complexe.
une complexification des enjeux, avec notamment l’émergence de la question climatique qui, d’après les chargés de projet, vient finalement agir parfois comme un argument bien au-dessus de tous les autres (c’est-à-dire que l’on va prendre des décisions non pas au nom des enjeux sociaux ou économiques mais pour des questions climatiques et cela peut souvent créer des conflits).
une complexification des arènes de débat : le citoyen trouve qu’il y a une profusion d’arènes où on lui demande de participer et cette profusion ne simplifie pas sa citoyenneté (face à une offre très vaste, il ne sait plus trop quoi choisir).
En réponse à ces constats de complexification, on cherche à élargir les publics mobilisés (et chaque service peut proposer pour un projet une réunion, un dispositif, etc.). Et on va donc aller chercher des publics nouveaux, notamment les jeunes, et bien souvent avec des méthodes collaboratives pour les intéresser.
Cette médiation urbaine aujourd’hui doit remplir des missions relativement peu claires, à la fois liées à des questions de mise en dialogue (dimension sociale de la citoyenneté –fabriquer du vivre ensemble- / dimension communicationnelle –dialoguer avec qui et comment) mais aussi un apprentissage des problématiques collectives (dimension cognitive, d’apprentissage -par exemple les questions climatiques difficiles à appréhender). Cette médiation a donc finalement deux missions : favoriser l’apprentissage et favoriser la mise en dialogue. Et donc, nécessairement, elle va obliger à penser différents types d’interactions. Et aujourd’hui, la médiation urbaine c’est à la fois l’information, le dialogue, la co-construction et la co-décision.
Réfléchir aux outils de la médiation urbaine
Quels enjeux y-a-t-il derrière ces scènes, ces lieux où on va mettre en dialogue et apprendre collectivement ? Des enjeux sociaux : si la médiation est bien faite, elle doit permettre l’expression de l’expertise conjointe (politique, technique, citoyenne). Dans le cas de projets urbains, le problème de la médiation, c’est aussi un problème de temporalités : la médiation ne peut pas se faire de manière ponctuelle et doit être pensée à toutes les phases du projet. Elle ne doit pas non plus être un simple outil de conduite du projet, où on récupérerait simplement les expertises d’usages pour les faire remonter aux concepteurs (dans une simple logique d’instrumentalisation). Finalement, une médiation efficace doit structurer la gouvernance des projets urbains. Et c’est ce que l’on peut constater lorsque les élus jouent réellement le jeu, avec les techniciens et les habitants : le projet en lui-même, sa méthode, la gouvernance mise en place est finalement fabriquée par le système de médiation que l’on a choisi de mettre en œuvre. Créer une page internet à chaque fois que l’on développe un nouveau projet dans une ville n’est pas forcément une bonne solution. Il faut bien se dire au départ, et non a posteriori ou en cours de route, que les outils numériques feront partie du système de gouvernance du projet.
Le défi n’est pas alors tant dans l’outil et ses performances, mais bien son intégration dans le processus, permettant dialogue et apprentissage. Et l’outil qui est souvent le média dans les projets d’urbanisme est la représentation de l’espace. On peut alors poser plusieurs questions : la représentation de l’espace peut-elle précéder la conception (peut-on voir des choses avant que l’architecte ne soit intervenu ?) ? Et est-ce que cette représentation peut procéder de l’habitant (puisqu’il est question de partage de pouvoir, est-ce que l’habitant, à un moment, ne peut pas aussi dessiner cette ville ?) ?
Et la 3D dans tout ça ?
La maquette 3D est un support de médiation urbaine qui sert à l’information, à la consultation, à la concertation, à la participation, voire à la co-conception. C’est un outil de modélisation relativement simple, mais qui propose théoriquement certains intérêts des outils numériques : la lisibilité (avec la 3D, la ville, le projet de l’urbanisme devient plus lisible), l’évolutivité (dès qu’un projet avance, la représentation évolue) et l’interactivité (au final, très faible dans la réalité).
La maquette 3D permet donc de représenter les projets dans leur contexte, visualiser l’espace en projet et surtout maîtriser les effets des images de synthèse (en obligeant les architectes à intégrer les visions produites pour leurs projets dans la maquette 3D, ce qui permet aussi de remettre à l’échelle certaines perspectives choisies par les représentations d’architectes). A Rennes, deux grandes missions sont données à la maquette 3D :
– la médiation : informer, permettre une vision, une appréhension partagée de l’espace urbain ;
– l’aide à la décision : disposer d’un outil de travail pour le développement de la ville (avec un usage davantage en interne, permettant de modéliser par exemple le bruit, les inondations…).
Corpus d’images en situation
Quelques exemples d’usages de la maquette 3D sont présentés. Où retrouve-t-on la maquette 3D2 ? Au fil d’événements passés sur le territoire rennais, comme par exemple lors d’un événement de communication territoriale et politique, à mi-mandat du mandat communautaire, visant à réfléchir à la stratégie de développement (économique, enseignement supérieur, etc.).
Evénements de communication territoriale : Viva-Cités 2012
Une semaine de rencontres avec les habitants est organisée. Durant cet événement, un des enjeux est la présentation des projets, pour lesquels la maquette 3D est mobilisée, couplée à une maquette physique. Les architectes présentent ainsi les projets avec l’aide de ces deux supports. Et des temps de manipulation libre de la maquette par les habitants sont aussi prévus, pour découvrir par eux-mêmes les projets. Mais l’usage de la table-tactile par les visiteurs demeure accompagnée par des animateurs (des gens des services de Rennes Métropole), pour répondre en direct aux questions des citoyens. Les projets présentés ont différents stades d’avancement : certains sont arrêtés, d’autres sont encore en amont, avec juste la définition d’un secteur stratégique.
On est donc bien dans une logique d’information et d’appréhension par le public de la complexité. La maquette 3D à l’échelle de Rennes Métropole présente une vingtaine de projets de toutes tailles (routiers, quartiers, espaces publics…). Et l’idée est que les gens peuvent consulter tout cela pendant la semaine et comprendre que monter une stratégie pour une métropole comme Rennes, c’est aussi complexe. Il y a l’idée que ça peut faire passer cette image de la complexité de la gestion d’une métropole aussi importante.
Evénements de communication territoriale : La caravane des quartiers
Un autre usage de la maquette 3D : l’utilisation de la maquette en mode historique, lors de la Caravane des quartiers. Lors de la conception de la maquette, différents supports de départ, notamment d’anciennes cartes, ont été utilisés pour réaliser les extractions de données. Lors de la Caravane de quartier, on présente la maquette en mode historique pour partager des souvenirs, avec l’idée revendiquée de collecter la mémoire. Cette maquette, en permettant de montrer des époques plus anciennes, est vue comme un bon outil pour commencer à discuter du quartier et de ses évolutions, avant les présentations des projets à venir par les élus. C’est donc l’idée d’informer et de faire parler.
Les ateliers d’urbanisme augmenté : ateliers créatifs à Banat-Prague-Volga
Un autre mode d’usage de la maquette 3D : les ateliers créatifs dans un quartier en pleine rénovation urbaine avec un projet ANRU : le projet de renouvellement du quartier du Blosne. Des ateliers sont organisés en réunissant professionnels de la ville, habitants, et notamment les copropriétés, en leur proposant de réfléchir à un aspect de la transformation de la ville, autour de la densification. On propose aux habitants de réfléchir au devenir des toits du quartier, avec de nouveaux droits à construire, etc. Cela permet d’initier la réflexion avec les habitants autour de l’idée de rajouter un étage à l’immeuble (avec des gains potentiels pour les copropriétaires existants permettant de financer d’autres travaux de façade ou de réfection de la cage d’escaliers, etc.). Et un intérêt de l’outil numérique ici est de pouvoir modéliser les propositions des habitants. Les projets sont représentés dans la maquette 3D au même titre que ceux des architectes (cf. image ci-dessus). Les habitants ont ainsi pu présenter aux élus les résultats de leur ateliers créatifs grâce à la table tactile (et avec le soutien du service SIG de la ville), donc avec le même outil qu’un architecte, ce qui est symboliquement fort. Cela fonctionne bien et les élus ont été convaincus, bien qu’il faille signaler qu’ils l’étaient déjà avant, par cette idée de densification. L’atelier créatif n’a donc pas eu un effet majeur sur la décision (et les discussions entre élus et urbanistes en amont ont sans doute davantage eu de poids dans cette orientation).
Les ateliers d’urbanisme du Blosne représentent ce qui s’est fait de plus poussé en termes d’usage de la maquette par les habitants à Rennes. La maquette est aujourd’hui en open-data, bien qu’il demeure quelques problèmes techniques (logiciels, formation SIG cartographie…).
Bilan intermédiaire
Pourquoi Rennes a autant investi dans la médiation numérique depuis 15 ans ? Et pourquoi les élus, les techniciens se sont-ils mis de manière assez poussée (par rapport à d’autres villes) à développer ces expérimentations ? Une analyse possible repose sur la convergence entre intérêts économiques et politiques :
Il se joue depuis les années 2000 le développement d’une filière TIC historiquement importante à Rennes (depuis l’invention du Minitel), avec le défi de se renouveler. Or, à Rennes, deux entreprises locales du numérique (Archividéo et Arte Facto) ont répondu de manière très efficace aux sollicitations des élus pour trouver des solutions de visualisation pour l’urbanisme, mais aussi pour l’industrie.
Cette convergence est renforcée par la Stratégie de Développement Economique de 2014 qui va mettre en avant la filière de TIC et la notion de Living Lab, l’idée que le territoire est un laboratoire permanent. On va alors favoriser l’expérimentation, et notamment les expérimentations numériques et on va en faire une des images du territoire rennais. Donc, quand Rennes écrit que les TIC sont la filière stratégique de son territoire, le côté expérimental de toutes ces démarches citoyennes est un moyen de prouver que Rennes Métropole est un territoire où il y a des usages du numérique (et notamment à cause de la compétition avec Brest, qui était bien plus en avance sur les usages du numérique).
L’idée de Living Lab, idée que la gestion publique quotidienne peut aussi se baser sur des logiques expérimentales, va conduire les élus à se doter d’une direction « Innovation numérique » (la 1ère de France) pour laquelle on va aller chercher des profils de professionnels issus des petites start-up locale, des gens du monde du numérique qui vont être ouverts sur ce qui se passe dans ce domaine et vont essayer de tester plusieurs dispositifs (les Fab Lab, la mise en libre accès des données de la ville, une expérimentation avec orange lab sur les mobilités quotidiennes, l’application « Villes sans limite », etc.). Cette idée de Living Lab est donc également nourrie par cette direction de l’innovation numérique, qui accompagne le développement économique en permettant aux petites start up rennaises de trouver un modèle de développement économique.
Le ludique et l’industrie
Pour l’instant, les exemples présentés ne sont pas très ludiques. On commence à s’y intéresser avec l’application « Villes sans limite », à voir des choses sur tablette où on peut construire la ville de demain, sur la base de montage photographiques de l’existant. Cependant, ces dernières années, cette dimension ludique est de plus en plus recherchée.
Jouer l’urbanisme, jouer la démocratie ?
Avec les jeux sérieux, on passe à un autre niveau où on va proposer de jouer l’urbanisme, voire de jouer la démocratie. Nous allons ici décrire un dispositif de jeu qui nous parait intéressant pour montrer le glissement vers le ludique.
Le jeu sérieux « Fort Mc Money », qui est à l’origine un web-documentaire mais qui comprend également des outils permettant aux gens de jouer et de prendre des décisions sur l’avenir de cette ville, simulée mais fortement inspirée d’une ville réelle : Fort Mc Murray au Canada.
C’est un jeu de rôle en ligne massivement multijoueur (en anglais, massively multiplayer online role-playing game : MMORPG). Ici, c’est le dispositif le plus abouti en termes d’interactivité : le joueur que l’on vise est citoyen du monde, on fait appel à la citoyenneté mondiale et à des questions de développement durable (donc censées concerner tous les pays). Le propos du jeu est de décider ensemble de l’avenir d’une ville (Fort Mc Money), dont l’économie est basée sur l’extraction du gaz de schiste. Prosaïquement, ce qui est proposé aux joueurs est de choisir entre la pollution ou le chômage. Il y a une dimension apprentissage très bien faite, on joue sur une semaine et à la fin de la semaine de jeu, il y a un vote et ensuite le jeu repart sur la base des choix votés. C’est vraiment le système de la démocratie directe qui est mis en avant : tout le monde vote et on voit les effets de son vote. On joue donc à la démocratie idéale, mais dans le cadre d’une production culturelle. On est dans une logique qui emprunte les codes du genre cinématographique (avec mise en scène, etc.). Le registre n’a donc rien à voir avec le sérieux du propos (sur les choix écologiques et les choix d’avenir). Il y a donc un vrai mélange des genres, extrêmement efficace au niveau de l’interactivité. Créé en 2013, c’est un jeu gratuit pour l’usager, mais avec un système économique derrière, inscrit dans l’industrie culturelle.
Cet exemple est un peu une figure extrême qui interpelle, car en termes d’outil, c’est un peu ce qu’on voudrait tous : c’est interactif, on joue la démocratie et on voit les résultats de la décision (ce qui permettrait également un vrai apprentissage de la complexité des décisions politiques, etc.). Mais par ailleurs ce dispositif est complètement fictif : c’est une fausse démocratie car c’est une fausse ville. On est donc vraiment dans un simulacre qui renforce l’idée que si l’on ne peut pas vraiment intégrer les habitants dans la participation citoyenne réelle, on leur permet à minima de « jouer à la démocratie ».
L’expérimentation et l’innovation ont leurs propres rythmes
Pour conclure sur le panorama des usages numériques présentés ici dans leur éclectisme, on peut revenir sur trois limites observables grâce à ces études de cas.
D’une part, en 15 ans d’expérimentation, la ville de Rennes n’a pas réussi à stabiliser ni les dispositifs, ni les publics visés par ces outils de « participation augmentée ». Elle a finalement « empilé » des dispositifs qui sont parfois contradictoires entre eux.
D’autre part, avec les outils numériques, si l’injonction à l’interactivité est plus forte (dimension ludique, maniable, individualisée) puisqu’elle fait partie de l’ADN de l’outil, rien n’est organisé pour la remontée des commentaires vers les décideurs.
Enfin, si les jeux sérieux constituent un moyen de délocaliser les problématiques, de simuler la démocratie directe, qui donne satisfaction aux joueurs, cela se fait en totale déconnexion avec la réalité. C’est une forme de marchandisation de la démocratie en ligne (même si le jeu est gratuit).
Finalement, qui sont les publics de ces démarches augmentées ? A peu de chose près les mêmes que dans les réunions publiques classiques.

Discussion avec la salle
Questions sur les publics mobilisés par ces outils numériques
Les outils numériques peuvent-ils être un levier pour impliquer de nouveaux publics ou ce sont les publics qui participent déjà aux réunions de concertation ?
D’après les chargés de mission de Rennes, depuis une dizaine d’années qu’ils utilisent la maquette 3D, les publics sont quasiment toujours les mêmes. Mais les chargés de mission vont aller plus facilement vers des publics nouveaux vers lesquels ils n’allaient pas avant, jeunes collégiens et lycéens. Il n’y a pas de chiffre mais ce sont donc les chargés de mission qui élargissent la palette des publics touché et non les publics qui « viennent à l’urbanisme ». Avec cet outil, on ose aller voir le jeune et lui parler d’urbanisme, il y a un côté ludique qui rassure. Mais sur les grands événements publics, sur la base d’enquête systématique de fréquentation, c’est quasiment le même public.
Après, certains chercheur en Info-Com avancent l’idée qu’aujourd’hui les formes d’organisation collective, ce qui fait du collectif, se font sur d’autres champs que les fameuses politiques publiques comme l’urbanisme. La participation, ce serait alors d’aller regarder et d’alimenter les blogs de photos ou de recettes.
Concrètement, la matière de l’urbanisme ne peut pas plaire à tout le monde. Le sujet en soi n’est quand même pas fait pour tout le monde. Même si en phase de diagnostic, cela peut être très intéressant, lorsqu’on arrive dans les phases plus techniques, les gens ne sont pas trop intéressés, et cela est compréhensible.
Questions à propos de la place des femmes dans la cité
Plusieurs articles pointent le fait que les quartiers populaires sont plus à usage masculin qu’à usage féminin et qu’il faudrait davantage développer dans les quartiers des espaces publics pour les femmes. Comment le numérique pourrait y aider ?
Les systèmes d’agora où les associations de femmes vont être valorisées peuvent être une piste.
Remarque sur la dimension ludique des outils numériques
Sur le numérique et les jeunes, sur le quartier du Sanitas, la coopérative Artefact a travaillé sur un jeu vidéo, la Sani-carte, pour montrer qu’on peut aussi construire le jeu (et pas seulement le consommer). Par ce biais-là, cela a permis à un public jeune d’appréhender le quartier de façon un peu différente. Et ce jeu va servir de support en gestion urbaine de proximité, pour mobiliser les jeunes et tous publics sur la gestion urbaine de proximité, sur le plan de quartier, sur les usages du quartier (notamment en mobilisant l’expérience de gens à mobilité réduite).
Remarque sur la spécificité ou non de la démocratie numérique
Dans les sciences de l’information et de la communication, au début d’internet, on a voulu dire qu’il y avait une démocratie électronique, avec l’idée d’une expérience de citoyenneté complètement différente sur internet et dans le reste de la vie. Aujourd’hui, les chercheurs reviennent complètement là-dessus, en disant que c’est totalement hybride et qu’au contraire, il ne faut pas « essentialiser » le numérique. On a eu beaucoup tendance à lui attribuer des effets magiques et aujourd’hui, il y a une injonction à recourir à l’informatique. Cependant les enquêtes auprès des professionnels montrent un malaise avec certaines générations par rapport à cette injonction à se servir de ces outils.
Question sur l’effet de cadrage par l’outil numérique
Sur l’exemple de la densification, il n’y a pas de co-décision car celle-ci semble déjà prise avant l’atelier, mais il y a un effet sur la décision, un effet de suggestion. Avec l’outil, on fait susciter la bonne réponse par les habitants, qui présentent leur réponse, qui était celle que l’on attendait. N’y-a-t-il pas un poids de l’outil qui profile les contours et les formes des contributions possibles ?
On présente l’atelier sur « qu’est-ce qu’on pourrait faire sur nos toits ? » et tout l’enjeu de l’atelier était de faire accepter cette idée de monter d’un étage. Il y a effectivement toujours un usage politique de l’outil.

 FERMER

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Démocratie électronique. Nouvelles formes d’engagement ou renforcement des clivages?
 

19 mars 2015
Maison des Sciences de l’Homme Val-de-Loire
33 allée Ferdinand de Lesseps, 37200 Tours

 

L’avènement du numérique ces vingt dernières années a entraîné une série de bouleversements dans notre vie quotidienne et a renouvelé les registres de la mobilisation et les pratiques de communication dans le domaine politique. Les notions de « démocratie électronique », de « cyberdémocratie » ou d’« hyperdémocratie », utilisés pour désigner le couple démocratie/internet (Mabi, Théviot, 2014), recouvrent un large champ thématique, allant de l’e-administration et du vote en ligne au droit à l’information (diffusion des données publiques) et à la transparence de la vie publique (« open government »), de l’égalité d’accès aux nouvelles technologies (« fracture numérique ») et à leurs effets sur les débats politiques et les mouvements sociaux…
Qu’en est-il pour la participation à la vie locale et aux projets urbains ? L’e-participation, avec ses conseils de quartier, sondages, référendums ou forums en ligne (Bailleul 2008), ne vient pas remplacer la démocratie participative, elle en est une variante technologiquement équipée. La démocratie électronique se définirait alors comme « l’ensemble des dispositifs et procédures mobilisant les technologies de l’information et de la communication en vue de favoriser la participation des citoyens au contrôle, à la discussion ou à l’élaboration des décisions publiques » (Wojcik, 2013).
Mais la vision techniciste de la démocratie électronique laisse en suspens la question des usages et des groupes sociaux qui s’approprient ces nouveaux outils. Est-ce qu’Internet favorise la participation politique de tou-te-s ? Est-ce qu’il permet de nouvelles formes d’engagement ou seulement des transformations de pratiques existantes ? Ces questions ne semblent pas rencontrer de réponse univoque dans les réflexions académiques. Si les recherches ont beaucoup privilégié l’étude d’arènes politiques officielles, l’analyse d’espaces politiques informels émergents sur le net a été jusqu’alors moins développée. Certains résultats suggèrent que la consultation en ligne serait plus inclusive, et que les publics touchés, en ligne et hors ligne, seraient différents. Mais le potentiel démocratique des nouvelles technologies est relativisé dans d’autres travaux, qui mettent au contraire en évidence le renforcement des élites traditionnelles (Monnoyer-Smith & Wojcik, 2014).

 

Programme
 

9h30 – Accueil des participants

10h – Introduction. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication, une réelle plus-value pour la démocratie participative ?, Patrick MOZOL, maître de conférences HDR en droit, Université de Tours, chercheur d’ECLIPS.

10h15 – Retours d’expériences :

• Vers une gouvernance contributive, quelques axes pour développer le pouvoir d’agir. Retour d’expérience sur une politique publique du numérique – Michel BRIAND, membre du Conseil National du Numérique, élu à Brest de 1995 à 2014

• Quelques enseignements en matière de participation numérique dans les quartiers de la politique de la ville. A partir notamment de l’exemple de la M@ison de Grigny (69) – Jacques Houdremont, conseil et accompagnement « Le fil des idées »

• Retour sur l’expérience de l’Agora Rabière – Mickaël Clément, association Résoudre, Joué-les-Tours

14H30 – Présentation de recherche. Tous urbanistes ? Utopies et réalités des dispositifs numériques dans le domaine des projets urbains. Hélène BAILLEUL, maître de conférences en aménagement et urbanisme, Université Rennes 2