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On peut observer une évolution similaire dans l’histoire récente de l’art comme dans celle de l’urbanisme : l’intégration du récepteur -l’habitant pour l’urbanisme, le spectateur, l’auditeur, le lecteur dans l’art- dans la conception même de la ville ou de l’œuvre d’art.
Et la prise en compte des usagers de la ville dans la conception urbaine nécessite que l’aménageur se dote de nouveaux outils pour intégrer effectivement les usagers dans la fabrique de la ville. C’est alors que les savoir-faire des créateurs apparaissent comme un vivier relativement intéressant pour les professionnels de l’urbanisme : la capacité des artistes à aller sur le terrain, à ne pas avoir peur du réel et à s’y confronter, à créer des dispositifs d’échanges, d’ouvertures, à faire émerger des paroles, des récits, des souhaits, des désirs, des désaccords… Toutes ces qualités de l’artiste peuvent être mobilisées dans des processus d‘aménagement.
De quoi parle-t-on ? Le positionnement délicat des artistes dans les projets urbains
Les mobilisations d’artistes peuvent prendre une grande diversité de formes d’intervention, de celles s’inscrivant dans les projets urbains ou les cadres de la politique de la ville à des interventions plus informelles, jouant davantage sur du décalage ou du décadrage.
Néanmoins, les positionnements des artistes intervenants dans des projets urbains demeurent délicats et sujets à méprise avec le(s) commanditaire(s) : les intervenants à cette journée ont insisté pour préciser la nature de leurs interventions, qui ne se situent ni dans le champ de l’animation, ni dans celui de l’événementiel. Ce ne sont pas en tant que tel des artistes qui font des prestations, par nature très ponctuelles dans le temps. Ce ne sont pas non plus totalement des projets d’artistes mais des projets qui intègrent des interventions artistiques à des moments (et selon certaines enquêtes, le moment où il y a création et œuvre d’art diverge d’ailleurs grandement selon les ressentis de chacun –artiste, habitant, professionnel, commanditaire…).
Certains intervenants se définissent comme « les artistes du quartier », qui proposerait un « service public artistique », en mesure de répondre aux besoins des gens en matière d’expression, d’imaginaire, de poésie, de rencontre, de dialogue… Ils revendiquent de faire « des micro-politiques culturelle de territoire » dans des espaces souvent délaissés par les institutions culturelles traditionnelles.
Le besoin de s’inscrire dans la durée et dans l’espace
Tous les intervenants ont souligné la nécessité d’inscrire ces interventions artistiques dans le temps et dans l’espace. L’inscription dans le temps est avancée à plusieurs reprises comme un élément constitutif des démarches évoquées. Il faut de la récurrence, il faut être au même endroit de façon récurrente pour que les gens puissent réellement participer, ce que ne permet pas une animation ponctuelle. Ces dispositifs prennent beaucoup de temps, il faut donc arriver à s’inscrire et tenir dans la durée et à mobiliser les gens sur des temporalités longues. Mais cette temporalité de projet est inhabituelle car le point d’arrivée reste plus ou moins incertain, et les parties-prenantes, dont les habitants, doivent acceptent cette incertitude, ce qui n’est pas évident.
La durée permet également de faire un vrai travail de partenariat avec les structures sociales et de pouvoir orienter les gens. Ce qui correspond également à la demande faite aux artistes d’être de plus en plus un outil culturel ou un opérateur culturel et de moins en moins un artiste.
Quels effets et quelle mesure des résultats de ces interventions artistiques ?
L’objectif final poursuivi peut être très variable. Mais, généralement, ce n’est pas tant la livraison d’une œuvre d’art que le renforcement du lien social et la création d’un vivre ensemble, en réussissant à partager des cheminements avec les participants… Il y a généralement beaucoup d’usages temporaires ou événementiels de l’espace avec la collaboration d’artistes, mais les projets ont des effets très réduits en termes de production urbaine, matérielle. C’est pour cela que l’on parle d’abord d’innovations de process. Ce serait alors plutôt les effets induits qui seraient recherchés, les traces qui vont être laissées du coté des habitants et/ou des techniciens eux-mêmes.
Mais ce sont des choses extrêmement ténues à observer. D’où une difficulté récurrente à évaluer de manière quantifiée les résultats de ces interventions, par nature non garantis au départ des projets. Il faudrait donc pour les commanditaires accepter que certains projets ne soient pas évaluables ni quantifiables. Cet aspect amène aussi à une reproductibilité et à une montée en généralité de ces pratiques très limitées.
Les relations délicates avec les commanditaires
On peut observer depuis quelques temps une relative institutionnalisation de ces « créations artistiques participatives ». Et de l’avis des professionnels venus témoigner, ces interventions se retrouvent finalement contraintes par les décideurs et cela pose la question de l’instrumentalisation, le projet urbain étant déjà écrit et en partie réalisé, sans que les habitants n’aient été consultés. Une des limites ressenties en tant qu’opérateur culturel est donc d’être à cheval entre le fait de continuer à faire des projets et le fait d’être manipulés et manipulables et par les municipalités et même par les financements privés, qui orientent de plus en plus les projets.
Les cadres des politiques de la ville, des politiques de rénovation urbaine comme celui des politiques culturelles s’avèrent relativement inadaptés pour les microstructures se retrouvant entre opérateurs, artistes, individus et collectifs. Des compétences en termes de bricolage institutionnel sont alors mobilisées (une intervenante détaillera ainsi la méthode des poupées russes, consistant à mobiliser des financements à la fois de la culture, de la politique de la ville et du privé -fondations- dans différents projets et ateliers pour aboutir in fine à un financement global pour une activité globale).
A quels besoins répondent les interventions d’artistes ?
Ces besoins peuvent être multiples.
Pour le commanditaire, le biais de l’art peut permettre d’aborder certains sujets de façon ouverte, plus en profondeur ou de façon plus sensible (comme le rire avec les arts de la rue par exemple), et ainsi de toucher d’autres publics, des publics plus vastes que ceux habitués aux dispositifs participatifs.
Il y a aussi le plaisir, le plaisir du public, mais aussi le plaisir de celui qui commandite, de l’élu ou de l’agent… Et cette notion de plaisir n’est pas si simple à faire passer (car elle ne se quantifie pas et ne se valorise pas) dans ces dispositifs institués. Pourtant, si des habitants passent un bon moment en dehors de leurs habitudes, c’est un facteur de réussite évident, car si les gens ont apprécié, ils acceptent naturellement d’y consacrer du temps.
Les interventions artistiques peuvent également venir permettre « d’adoucir » la lourdeur des opérations de rénovation urbaine et l’importance des transformations
Pour les professionnels de la ville, l’intervention d’un artiste peut également constituer un puissant moteur de la réflexivité du professionnel sur sa pratique.
L’acteur artistique peut également avoir un rôle de médiation de la parole habitante, qu’il rend audible, appropriable, commune. L’artiste recrée ou retransmet du commun à partir de paroles individuelles mais qui vont être écoutées par tous, via l’œuvre alors qu’individuellement, elles ne s’écoutent pas les unes les autres. L’intervention de l’artiste peut permettre de mettre en commun, c’est-à-dire de faire écouter aux uns et aux autres ce qu’ils n’entendent pas.
Enfin, aller chercher grâce à des dispositifs intégrant des artistes des gens ne participant pas à la vie locale, qu’elle soit sociale ou politique, permettrait, dans l’esprit de nombreux commanditaires, de les amener par la suite à participer en politique. Ce schéma de la participation en art comme marchepied à une participation politique demeure néanmoins à démontrer. Dans le même ordre d’idée, un autre postulat serait que les interventions artistiques permettraient via une appropriation des lieux par des habitants, de conforter ou de créer un espace public. La question qui se pose est alors de savoir pourquoi et comment des projets artistiques sont supposés favoriser le vivre ensemble et la création d’un lien social brisé, alors même que les actions publiques concernant le volet social ont par ailleurs en partie échoué. Pourquoi l’art serait-il en mesure de résoudre des maux que les travailleurs sociaux ou socioculturels ne peuvent solutionner ?