Télécharger la synthèse en Pdf
Le séminaire a pour objectif de réfléchir aux conceptions de la démocratie, dans ses acceptions de représentation et de participation du point de vue juridique, institutionnel (P.Mozol), social et politiquec(S.Denèfle) en prenant appui sur des expériences politiques de participation (F.Gillet et J.P.Gille).
Patrick Mozol interroge spécifiquement la question de la définition-même du concept de démocratie participative, sous l’angle juridique et institutionnel et, notamment, par rapport aux notions de démocratie représentative et démocratie directe. Il aborde tout d’abord les rapports entre représentation et participation en soulignant une différence importante.
La démocratie représentative, comme la démocratie directe, repose sur un principe d’exclusivité dans l’exercice du pouvoir de décision. Ainsi, la démocratie directe suppose que les citoyens exercent directement la souveraineté leur appartenant et prennent les décisions intéressant la vie de leur Etat. Quant à la démocratie représentative, elle implique que l’exercice du pouvoir soit confié par les citoyens à des représentants élus à qui il revient, au nom de la collectivité et de ceux qui les ont investis provisoirement d’une telle prérogative, de prendre les décisions.
Etymologiquement, la participation sous-entend l’idée de partage du pouvoir et donc de partenariat entre les autorités publiques et les citoyens, ce qui en fait, pour certains, la forme la plus poussée d’association citoyenne au processus de décision ou de gestion publique. Dans cette perspective, la démocratie participative supposerait que les élus et les citoyens disposent de prérogatives plus ou moins équivalentes en vue de prendre des décisions de manière conjointe. Cela renvoie notamment au mécanisme de codécision.
Dans le régime représentatif, rien ne garantit que la volonté des citoyens sera en totale adéquation avec celle des élus et qu’elle s’exprimera à travers les décisions qu’ils prennent. Plus encore, il apparaît impossible pour un représentant du peuple de formuler une image transparente de la volonté ou des intérêts des citoyens qu’il est chargé de représenter. C’est pourquoi il existe nécessairement un risque de décalage entre la volonté des citoyens et celle des élus. Avec la démocratie représentative, on reste loin de l’idéal initial que constitue l’identification de la volonté des gouvernants et des gouvernés.
Dans ces conditions, introduire de la participation dans la démocratie représentative peut permettre, sinon d’atteindre, du moins de se rapprocher de cet idéal. C’est la raison pour laquelle bon nombre de démocraties sont organisées autour de ce modèle intermédiaire que constitue le régime semi-représentatif. En France, la représentation dans les collectivités locales s’essaie à cette voie moyenne. Mais d’un point de vue juridique, la démocratie participative ne se limite à rien d’autre que la démocratie délibérative. Depuis la loi de 1992 sur l’administration territoriale de la République, la participation n’a jamais été organisée pour remettre en cause le principe de l’administration des collectivités territoriales par des conseils élus. Seul le référendum local constitue une entorse à ce principe, mais cet aménagement est prévu par la Constitution pour ne pas enfreindre l’article 72 de celle-ci. Dans les autres cas, le pouvoir de décision des élus est toujours préservé. La démocratie participative n’est donc qu’une modalité de la démocratie représentative.
Sylvette Denèfle s’interroge, pour sa part, sur les raisons politiques du choix de plus ou moins de participation citoyenne et aborde par les aspects idéologiques, axiologiques, voire partisans, la question de la citoyenneté.
La notion de « démocratie » (prise en compte de tous dans la gestion de l’intérêt général) est fortement associée, en France, à celle de « république » (forme de gouvernement pour l’intérêt général).
En dehors de la forme de l’Etat et de sa gouvernance, le problème central de la démocratie et de la république est celui du rapport entre l’ensemble des citoyens et les décideurs ainsi que le rôle des groupes d’influence. Les élus inscrivent leurs projets et leurs réalisations dans la cohérence d’objectifs idéologiques et techniques en s’appuyant sur les partis et sur les experts. La participation des citoyens peut, au mieux, se développer dans la délibération (plus ou moins institutionnalisée) mais ne concerne pas les décisions politiques.
Les programmes partisans affichent leur conception de la démocratie en se positionnant autour des référents républicains de la liberté, l’égalité et la fraternité.
La liberté, essentielle au XVIIIè siècle, pour dépasser la société à ordres, tend de nos jours à se décliner au pluriel dans un versement juridique. Elle se rapproche ainsi des logiques de luttes contre les discriminations qui sont le socle des revendications de l’égalité en droit. Le principe fondamental de l’égalité dont la remise en question (par exemple par les partis extrêmistes) apparaît comme destructrice de la démocratie est cependant un principe qui reste théorique car l’égalité se heurte à des situations sociales très nombreuses qui en estompe la possibilité. Ces décalages imposent de réajuster sans cesse l’ensemble de nos pratiques politiques, législatives, sociales, les discriminations étant conçues comme des dysfonctionnements du principe démocratique de l’égalité républicaine.
La discussion entre démocratie participative et démocratie représentative repose actuellement en grande partie sur cette question : la représentation démocratique représente-t-elle également l’ensemble de tous les citoyens ? Les activités démocratiques représentatives sont-elles satisfaisantes pour exprimer l’égalité de tous les citoyens ?
Alors que les élus se satisfont de cette représentation, la société énonce de plus en plus souvent sa méfiance : il y a trop de distorsions entre le droit et les faits. Les inégalités demandent des réajustements constants. La manière de justifier ces distorsions ou de les corriger est le socle de la question de la démocratie participative et de son rapport à la démocratie représentative. Les choix politiques vont donc, de plus de luttes contre les discriminations à plus d’intégration de l’idée d’équité en substitution à celle d’égalité.
Quant à la notion de fraternité, elle semble relativement désuète et incluse dans la notion de solidarité qui induit une inégalité implicite quoique quelque peu coupable.
En résumé, on peut noter une sacralisation politique, juridique et sociale du discours de la démocratie républicaine au travers de la devise « Liberté, Egalité, Fraternité » dont le sens inclut de plus en plus d’inégalités accentuées par la représentation politique et une participation citoyenne très faible à la décision publique.
Pour y pallier, on revendique une citoyenneté partagée qui est la reconnaissance d’une égalité démocratique et républicaine accomplie. C’est un modèle qui connaît les faveurs des discours partisans mais qui demande à être évalué à l’aune les réalisations effectives.
C’est pourquoi, nous poursuivrons nos débats en interrogeant les praticiens des politiques publiques.
François GILLET, (maire de Meylan, en Isère, de 1971 à 1983) présente son expérience d’élu et de militant à propos de la participation citoyenne dans l’habitat.
La commune de Meylan, près de Grenoble est une commune résidentielle d’environ 20000 habitants) ayant connu une croissance rapide dans les années 1960-1980 qui est essentiellement occupée par des cadres, un grand nombre d’employés et peu d’ouvriers. François Gillet a été élu en 1971 sur une liste « GAM » (groupes d’action municipaux, mouvement politique né dans les années 1960), dont l’un des objectifs importants était de rendre le pouvoir aux citoyens au moins sur les questions urbaines et les équipements publics. L’une des premières actions de la municipalité a été la restructuration d’un quartier. Plutôt que de faire appel à un architecte-urbaniste, il a été décidé de lancer un concours d’idées auprès des habitants. Une quinzaine de structures associatives (parents d’élèves, commerçants, etc.) ont fait des propositions jugées recevables par la municipalité. Un « atelier public d’urbanisme » a alors été mis en place, financé par la commune qui après avoir indiqué ses contraintes a recueilli et mis en place certaines des propositions de l’atelier. L’atelier public d’urbanisme a, ensuite, continué à travailler de façon plus détaillée avec un architecte chargé de coordonner les différentes opérations. Il a été consulté sur le problème de la préservation des espaces naturels, l’aménagement et l’entretien des espaces verts, la vie sociale et l’organisation de l’habitat, etc. de façon à co-concevoir le quartier. Une pré-attribution des logements a été faite au moment du permis de construire, en négociation avec deux bailleurs sociaux. Trois groupes d’habitat groupé autogéré ont par ailleurs été constitués et une convention signée, fin 1982, avec la Ministre de la famille Georgina Dufoix sur l’association des habitants à la réalisation d’un quartier, le contrôle de l’attribution des logements en liaison avec les organismes HLM, la manière d’assurer la gestion des logements et la façon de mettre en place des structures de gestion du quartier.
Par ailleurs, après l’exercice de ses mandats électoraux, François Gillet s’est consacré à l’association « Un toit pour tous » qui, par l’acquisition, grâce à des aides publiques importantes, de logements anciens répartis dans le tissu urbain restaure et loue à des personnes en difficulté (problèmes financiers, sociaux
Jean-Patrick GILLE, actuellement député d’Indre-et-Loire et anciennement premier adjoint à la ville de Tours en charge des questions urbaines, a présenté son action pour mettre en place des mécanismes de démocratie participative qui perdurent.
Des mini-groupes de travail, les comités d’usagers, sur des sujets divers ont été constitués dans toute la ville. Puis des comités de suivi ont été mis en place sur des quartiers posant problème, tels que le Vieux Tours ou les Deux Lions. Des réunions étaient organisées chaque premier jeudi du mois avec une réussite variable. En 2001, quatre conseils de la vie locale (CVL) ont été créés (Nord, Sud, Est et Ouest), composés de représentants des habitants, tirés au sort, de représentants d’associations d’habitants et de comités de quartier, d’élus municipaux et de représentants des services publics de proximité. L’idée des CVL est de passer d’une logique d’interpellation à une logique de concertation ou de consultation, mais aussi de donner aux habitants une capacité d’initiative en leur accordant un budget spécifique. Même si, pour Jean-Patrick Gille, ces dispositifs sont sans doute critiquables et ont d’ailleurs été critiqués, ils ont créé une culture de la consultation auprès du public, mais aussi des services.
Les discussions qui suivent les présentations des élus s’engagent sur leurs réalisations mais également sur la question du rôle des partis dans le système démocratique français. La désignation des candidats est un problème important. Ce sont eux qui portent les projets politiques et se retrouvent investis d’un certain nombre de tâches sans que la façon dont ils ont été choisis pour l’assumer n’ait quelque transparence que ce soit. C’est une des difficultés de la représentation politique actuelle car on convient pour faire boutade que les qualités qu’il faut pour se faire élire ne sont pas nécessairement celles qu’il faut pour être un bon élu.