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L’avènement du numérique ces vingt dernières années a entraîné une série de bouleversements dans notre vie quotidienne et a renouvelé les registres de la mobilisation et les pratiques de communication dans le domaine politique. Qu’en est-il pour la participation à la vie locale et aux projets urbains ?
La logique dominante en termes de politiques locales concernant le numérique a longtemps été une logique d’équipement, sans que les conditions d’appropriation ou les usages associés aux outils numériques soient réellement questionnés. Si cette vision centrée sur le développement des équipements et des infrastructures tend à s’élargir à des visions intégrant les questions des compétences des usagers, celles-ci nécessitent beaucoup de temps pour se développer et ne doivent pas seulement être comprises comme un ensemble de compétences techniques mais bien également comme de nouvelles aptitudes intellectuelles (en termes de prise de parole, de rédaction de contenu, d’interactivité) et culturelles (comme accepter la prise de parole libre ou intégrer les gains des logiques coopératives et ouvertes permises par les outils numériques).
La participation via les outils numériques restent encore descendantes
Si la participation citoyenne via les NTIC présente une dimension ascendante nettement plus importante, sa promotion reste gouvernée par une logique descendante des choses. A titre d’illustration, la pratique majoritaire des communes est de développer leurs sites internet à des fins d’information des habitants, de communication politique et de valorisation de leurs actions. A l’opposé, les rubriques interactives permettant aux citoyens qui le souhaitent de dialoguer avec les élus et de prendre part à divers degrés à une démarche participative demeurent très réduites.
De la même façon, dans des cas poussés d’usage du numérique lors d’ateliers citoyens (atelier créatif de modélisation des futurs d’un quartier par ses habitants grâce à une maquette 3D à Rennes), la délimitation des sujets à débattre comme la maîtrise technique de l’outil demeurent aux mains de la puissance publique.
Permettre et accepter une prise de parole libre : les possibilités des technologies numériques nécessitent d’être acceptées culturellement
Il demeure un pas culturel à franchir du côté des acteurs détenant du pouvoir (le personnel politique mais aussi les cadres dirigeants) pour donner librement la parole et l’accepter. Cela doit s’accompagner de la démystification des soi-disant dangers associés à cette prise de parole. Sur ce point, les témoignages des trois retours d’expériences convergent : hormis dans l’imaginaire des acteurs, il n’y a guère de risque à donner la possibilité à tout le monde de s’exprimer. A Brest, en 12 ans et sur 10 sites participatifs, il n’y a jamais eu aucun problème, jamais aucun article refusé. Le seul vrai travail est bien toujours de réussir à amener les gens à écrire, à s’exprimer. Idem à propos du projet d’Agora Numérique dans le quartier de la Rabière à Joué-lès-Tours : en 2014, 100 000 visiteurs (notamment sur les Espaces Numériques de Travail), 150 articles mis en ligne et aucune modération à faire, malgré une période d’élections municipales.
Autre exemple, suite à la commande par une municipalité d’une plate-forme de libre édition, complètement transparente et publique pour favoriser l’expression d’habitants qui habituellement ne s’expriment pas, les seuls réactions en retour sont celles des chefs de services désireux de pouvoir modérer les propos publiés. Il faut savoir aller chercher la parole mais il faut également savoir l’accepter.
La « fracture numérique » est encore une fracture infrastructurelle, mais également une fracture cognitive
Le numérique est un outil nouveau et il faut apprendre à s’en servir. La mise à disposition de l’outil numérique peut permettre de donner la parole à ceux qui ont une culture générale et de bonnes conditions sociales. Mais la diffusion de cet apprentissage est extrêmement marquée par la différenciation sociale. Des politiques ou des pratiques explicites peuvent permettre une espèce de lutte contre les discriminations d’accès à ces technologies. Si l’on veut une vraie prise de parole par le numérique vis-à-vis des populations les plus éloignés, il faut impérativement accompagner ces populations-là. Les questions du financement de l’accompagnement de ces changements sont donc centrales.
Accompagner la politique de numérisation des services et d’équipement d’une politique de formation aux usages du numérique
Sans une intervention publique forte, les NTIC peuvent renforcer la fracture sociale. L’administration en ligne créé aujourd’hui des ruptures de droit. En termes de services publics, la numérisation des services doit se faire avec un développement des capacités d’accompagnement : par exemple, il ne s’agit pas seulement de permettre de remplir sa déclaration d’impôt en ligne, il faut aussi avoir la capacité d’accueillir et d’accompagner, de former les gens dans les centres des impôts à remplir leur déclaration. Les institutions publiques ne peuvent plus se contenter de mettre en place des services en ligne mais doivent aussi se demander comment accompagner toute la mise en œuvre de cette politique de dématérialisation.
Et les politiques d’accompagnement et de formation ne doivent pas se limiter à la simple maitrise technique des outils. Il faut aujourd’hui dépasser le cadre des savoirs de base (l’usage des logiciels) pour permettre la production de contenus et aborder les questions de maîtrise de l’identité numérique et de la place des réseaux sociaux.
La nécessité de former les élus et les professionnels
Comme les citoyens, il ne faut pas oublier que les élus aussi doivent se former et approprier les fondamentaux avant de réfléchir aux enjeux du numérique. Et là encore, cela doit passer par de la mise en pratique.
De la même manière, pour aller vers les habitants et faire de la participation avec les outils numériques, il faut nécessairement former les animateurs et les travailleurs sociaux pour qu’ils s’approprient le numérique comme un de leurs outils de travail. On ne peut plus faire du développement social sans se préoccuper de cette question-là. La transformation numérique est un paradigme, qui irrigue tous les aspects de la société. Il est nécessaire de prendre le temps de réfléchir à comment le numérique vient modifier les postures professionnelles. C’est l’enjeu de la littératie numérique.
Le numérique permet une société d’abondance (tous les objets numériques sont abondants et peuvent être facilement copiés et diffusés), et il faut désormais apprendre à gérer l’abondance. Les méthodes coopératives comme la gouvernance contributive peuvent le permettre. Le numérique peut être vu comme un moyen d’augmenter le pouvoir d’agir des acteurs de la cité et de valoriser ce qui se fait. Il ne s’agirait alors pas d’utiliser le numérique pour participer à des forums ou à des débats, mais de l’utiliser pour essayer de renforcer et de donner une place à ce pouvoir d’agir.
Il n’y a pas de magie ou de spécificités des outils numériques concernant la participation
Les réseaux virtuels reposent sur des réseaux de personnes, qui peuvent se rencontrer et collaborer grâce à internet. Les pratiques collaboratives nécessitent beaucoup de liens sociaux et que les gens se rencontrent. Il ne faut pas « essentialiser » le numérique. L’expérience de citoyenneté sur internet et dans le reste de la vie ne sont pas dissociables et fondamentalement différentes. Au contraire, elles s’hybrident. Et les difficultés liées à la participation se rencontrent largement de façon identique. En cela, les intervenants, comme lors de séminaires précédents, ont souligné l’absence d’effets magiques des instruments numériques sur la participation.