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Les professionnels de la participation : un champ délicat à définir
Le développement institutionnel de la démocratie participative et la prolifération et la procéduralisation des dispositifs participatifs qui l’accompagne, ont favorise l’émergence d’un « marché de la participation » au caractère nébuleux et mouvant. Identifier et quantifier ce marché est un exercice délicat et instructif. Et qualifier et nommer les compétences nécessaires pour exercer ce métier s’avère également problématique.
Une évolution des missions dévolues aux agents et services
Des mises en administration de la participation par sédimentation successive
Le développement d’administrations de la participation constitue le signe le plus tangible de l’institutionnalisation de la norme participative. Cette mise en administration de la participation s’est opérée par sédimentation successive : tout d’abord avec les professionnels de la politique de la ville, puis avec des recrutements marqués tout d’abord par le thématique de la « proximité » et les conseils de quartiers (2001-2006), et ensuite par le développement durable et les Agendas 21 (à partir de 2005-2006 et notamment pendant la période de labellisation par l’Etat).
L’évolution du positionnement des services dédiés au sein de l’espace administratif
Trois grandes périodes de la mise en administration de la participation peuvent être identifiées : tout d’abord, jusqu’au milieu des années 2000, celle des administrations de combat, qui doivent convaincre de la nécessité de la participation et affirmer leur position ; ensuite, à partir du milieu des années 2000, le temps de la rationalisation de l’activité administrative, de l’acculturation, de la diffusion de l’expertise et de la formation en interne ; enfin, pour certaines collectivités engagées de longue date, la dernière étape est celle du nouveau management des compétences participatives qui sont désormais reconnues et intégrées dans les fiches de postes et les référentiels métiers1.
La participation : métier ou compétence ?
Il y a actuellement à la fois des agents dédiés à la participation, qui ne font que cela, et d’autres agents qui mobilisent de la compétence participative au service d’un autre métier. Et il s’observe la même chose du côté des prestataires privés. Le développement de compétences participatives ne va-t-il pas alors très rapidement mettre un terme à l’existence du métier d’agent de la participation ? A l’inverse de ce que tend à montrer une analyse par les dispositifs, qui suggère une consolidation de la norme participative, l’analyse par les professions et les trajectoires professionnelles suggère une tendance à voir une norme fragile et précaire, interrogeant le sens de l’institutionnalisation de la participation.
Une institutionnalisation administrative fragile ?
Il y a une évolution des missions attribuées aux services « démocratie participative », qui passent de l’animation de dispositifs à de la régulation, de la coordination, de l’accompagnement des dispositifs, de plus en plus dans un rôle de coordination et de moins en moins dans un rôle de mise en œuvre. Les méthodes participatives sont de plus en plus largement intégrées dans le fonctionnement des différents services.
Cette institutionnalisation administrative de la participation apparaît alors fragile, s’opérant plus par diffusion que par spécialisation. Ces administrations sont faiblement reconnues et sans monopole sur leurs activités. Et les services dédiés ont à la fois une fonction didactique (mise en œuvre, conception, évaluation des dispositifs) et opérationnelle (diffusion, formation à la culture participative).
Quelles sont les compétences nécessaires et mobilisées ?
Si le champ de la participation a donné lieu à de nombreux travaux, certains ont souligné la faiblesse des recherches sur
La question des compétences nécessaires et mobilisées pour « faire participer » ou « faire de la participation » demeure peu explorée. On parle de « savoir être », « d’habileté relationnelle », de « capacités » ou de « compétences relationnelles », de « capacités à sentir les choses », « d’écoute flottante ». Cette difficulté à désigner les savoir-faire apparaît de façon explicite notamment lorsqu’il s’agit de faire internaliser cette compétence. « Comment devient-on compétent de la relation ? ». Cet « angle mort », cet impensé, participerait également à renforcer une foi dans la magie des dispositifs.
On retrouve cette question des compétences en ce qui concerne les commissaires-enquêteurs. Ce dernier doit-il être un expert ou juste un « honnête homme » (pour reprendre l’expression de la loi) ? Il ne peut pas et ne doit pas être un expert du projet, en revanche, c’est un expert de l’enquête publique (de l’écoute, de la synthèse) et de la procédure. Il est assez proche de la figure du garant (qui assure la neutralité et le respect des bonnes règles de la concertation) qui émerge actuellement dans le champ professionnel de la participation.
La distinction entre militants et professionnels de la participation est-elle encore opérante ?
Nombre de professionnels de la participation font du caractère militant un élément identitaire central de leur activité. Si, pour certains, l’opposition entre militants et professionnels demeure encore centrale (notamment dans le secteur de l’habitat participatif) ; pour d’autres, la ligne de partage serait moins entre professionnels et militants que dans le rapport aux institutions, qui est différent. L’institutionnalisation de la participation serait passée d’une logique de lutte bottom-up à une approche top-down d’institutionnalisation de la participation. Le déploiement d’une offre publique de participation aurait alors eu un effet non pas d’épuisement mais d’invisibilisation de la participation.
La participation, un travail social ou politique ?
L’intervention d’un prestataire en participation a souligné le glissement de la participation vers le travail social, et à l’inverse, l’intervention d’un agent public en charge de la participation a souligné le caractère politique de son activité.
L’objectif de la participation est-il politique ou au contraire ne vise-t-il que la paix sociale ? Pour beaucoup d’exécutifs, municipaux ou autres, l’objectif premier de la participation est qu’il n’y ait pas de vague. Les chargés de missions sont ainsi souvent pris dans des logiques paradoxales, entre créer du consensus ou faire ressortir les points saillants, de tension.
Si le but de la participation est de ramener tout au moins de conflit possible et les pratiques associées se résument essentiellement à du lissage, il y a bien un écart avec les discours affirmant que la participation constitue une forme de remise en question de la démocratie représentative.
A la fois professionnels et militants de la participation ?
Les agents territoriaux en poste depuis plusieurs années soulignent la part nécessaire, indispensable d’engagement militant. Celle-ci repose sur une offre de transparence, en intégrant les citoyens dans les dispositifs, pour leur permettre d’avoir un regard plus éclairé, une critique plus constructive sur ce qui se passe. Revendiquer son militantisme, y compris dans la fonction publique, ne se fait pas au détriment d’une revendication de son professionnalisme. C’est la figure du « mili-techni » : tenir en équilibre entre une posture militante et une posture technique.
Si l’opposition entre professionnel et militant n’a pas disparu, elle est moins structurante qu’elle ne pouvait l’être jusqu’au début 2000. Les militants revendiquent des compétences professionnelles et ne s’opposent plus par rapport à la logique de professionnalisation. La ligne d’opposition se serait alors déplacée sur le sens politique de l’engagement, entre celui qui revendique un investissement militant et politique et celui qui, à l’inverse, est complètement désinvesti et a une posture plus cynique (être au service des citoyens versus le citoyen alibi pour faire autre chose).
L’analyse par les professionnels de la participation comporte un biais : en se centrant sur des activités rémunérées qui peuvent être assimilées à du travail social et à de la recherche de consensus, l’analyse évacue de fait les acteurs qui font de la participation davantage dans des postures politiques (comme les centres sociaux, qui sont dans une posture politique d’éducation populaire).
Interactions entre offres publiques et offres privées de participation
La distinction est très fragile entre une offre publique de participation (des agents publics) et une offre privée (des professionnels prestataires). Il s’observe une hybridation et des porosités très fortes entre ces univers, avec des circulations d’acteurs et de pratiques. L’analyse des trajectoires professionnelles individuelles montre une collusion et une interpénétration des univers administratif, politique, académique, associatif et marchand, avec des circulations individuelles et de nombreux acteurs à la frontière des univers (notamment à la frontière entre univers académique et les autres univers).
L’internalisation de compétences participatives au sein des administrations n’a pas tari le marché privé, bien au contraire. Il y a des dynamiques concurrentielles entre collectivités territoriales, une course à l’innovation qui alimente le marché de la prestation privée dans le secteur de la participation. Afficher l’intervention de prestataires reconnus dans processus de concertation participe à des logiques de marketing territorial, en communiquant sur le caractère innovant et exemplaire de la politique de participation conduite.
Il y a également un jeu concurrentiel entre prestataires privés, pour se démarquer et se positionner (avec des effets de mode et de mimétisme très forts). Les cabinets réputés participent à la labellisation de l’innovation locale, avec parfois un jeu de réciprocité et de légitimation croisée entre le prestataire (parfois également chercheur) et la collectivité, pour que chacun mette en lumière l’autre (le chercheur fera un article sur le dispositif mis en place par son cabinet, ce qui fera en retour un agrément d’innovation pour l’expérience de la collectivité, etc.).